Twist lent au bal orageux de la fin du monde
Bâtir un film sur son dénouement est éminemment casse-gueule.
D'autant que d'entrée de jeu, seule deux options sont proposées: soit notre héros est fou, soit il est visionnaire. De ce nœud classique ne peut découler que la déception si l'on se fait de ce faux suspens l'enjeu essentiel du film. Ce sera l'une ou l'autre des deux faces de la pièce, et même, sans doute l'une PUIS l'autre pour tout bon final qui se respecte.
(j'ai spoilé, là ?)
Parti prix courageux s'il en est, donc, mais on l'a vu avec "The artist", ce postulat de départ ne suffit pas à faire un bon film.
Qu'est-ce qui constitue le sel de ce Take Shelter ?
Deux choses, intimement imbriquées, car la première impossible sans la seconde.
Un aspect réaliste et donc passionnant quant à la santé mentale du héros et aux questions qu'il se pose qui ne pouvait s'appuyer que sur un rythme forcément posé. Pas lent, posé. La gradation de l'évolution mentale de Curtis n'est palpable qu'en faisant nôtre ses interrogations métaphysiques, et cela prend le temps nécessaire. Certaines scènes ne signifieraient rien (voir celle de l'abri, par exemple) sans que l'on ne saisisse le sens des décisions du couple, de leur volonté de sortir ensemble de cette crise.
En d'autre terme, plus rapide, ce film perdait tout son sens.
Cette réussite transpire sur tous les "à-côté" de la trame principale. La mère du héros, les potes du boulot, la vie du couple, tout concours à la réussite de l'ensemble, car tout sonne juste, tout est remarquablement bien joué.
Car voilà bien les deux derniers atouts forts du film de Jeff Nichols: acteurs impeccables (Michael Shannon et Jessica Chastain en tête, bien entendu) et esthétique soignée, renforçant l'atmosphère oppressante et sourde du propos.
Take Shelter réussit donc là ou tant de films d'anticipation pêchent: le thème sert de tuteur intelligent à une étude lucide du monde tel qu'il est, doublée d'une exploration réussie de la psyché humaine et de ses drames intimes.
L'incommunicabilité masculine n'étant pas un de ses moindres avatars.