Take Shelter par Patrick Braganti
Dans la lignée des films envisageant en 2011 la fin du monde, Take Shelter peut être en effet appréhendé comme une vision de post-crise, celle d'un monde où règne la peur sous toutes ses formes, sorte d'angoisse métaphysique qui amène à fuir et à se terrer dans une cave même aménagée, à l'abri des regards hostiles. Alors que la mère de Curtis est atteinte depuis plusieurs décennies d'une schizophrénie paranoïde, ce qui permet à son fils de poser un regard de connaisseur sur sa situation, on peut aussi voir dans l'abri souterrain aménagé une parabole du ventre de la mère, comme si Curtis voulait revenir à la source. Nous assistons pendant deux heures haletantes à la métamorphose d'un homme qui devient fou, et pire encore, en a pleinement conscience puisqu'il emprunte des ouvrages sur la maladie mentale à la bibliothèque locale, consulte un médecin puis une psychologue et confesse son état à sa femme.
Pour interpréter la douleur et l'enfermement, la paranoïa et l'isolement, il fallait bien le talent de Michael Shannon, déjà vu dans Shotgun Stories, mais aussi dans Bug de William Friedkin, où il y jouait Peter, un vagabond persuadé d'être attaqué par des insectes pénétrant sous sa peau. Ici ce sont les éléments climatiques d'abord, puis les personnes autour de lui, qui envahissent les songes cauchemardesques de Curtis. En ce sens, on pourrait considérer Take Shelter comme l'antithèse de Melancholia, où Justine n'envisageait le terme de sa dépression qu'au travers de la destruction de la planète. Antithèse car Jeff Nichols n'opte pas pour une issue radicale, s'embourbant quelque peu dans une résolution décevante qui réintroduit le film dans le champ de la normalité.
Fort heureusement cette réserve, même si elle n'est pas anodine, ne concerne que les minutes finales. Reste donc les cent-dix qui les précèdent et, une fois encore, le talent de Jeff Nichols à mettre en scène, à diriger ses acteurs et à ancrer l'ensemble dans les grandes étendues de l'Ohio – mais nous sommes cette fois dans une catégorie sociale moins défavorisée que dans son précédent film - est évident. Le réalisateur réussit en tous points un film remarquable, au suspense croissant, à la tension angoissante en sachant nous rendre palpable et touchante la détresse d'un homme en train de se consumer sous nos yeux sidérés et fascinés. On finit par se réjouir de la perspective de la fin des temps et du cataclysme ultime si elle donne naissance à de telles œuvres.