Avec Taklub, Brillante Mendoza propose un hymne aux victimes et rescapés du terrible cyclone ayant frappé les Philippines en 2013, à travers les destins croisés de personnages endeuillés qui tentent, malgré tout, de continuer à vivre. En tournant sur les lieux du désastre, le cinéaste apporte une réelle plus-value à son propos. Au fil d’une trame minimaliste mais solide, quoique trop uniformément rythmée, le film évoque, avec sincérité et empathie, les conditions de vie des survivants. Dans sa description d’une communauté, Mendoza capte les instants de partage et de conflit, le poids des disparus, et l’angoisse constante d’une nouvelle catastrophe dès que le temps s’agite. On regrettera néanmoins quelques symboliques un peu convenues, comme ces tasses à l’effigie de ses enfants disparus qu’une mère conserve précieusement – l’idée, plutôt belle en soi, étant sur la durée trop maladroitement exploitée pour émouvoir (voir ce moment un peu forcé où l’expression « recoller les morceaux » est rendue littérale).
Sur un plan strictement formel, Taklub révèle plus frontalement sa vocation cathartique. Dès lors, s’il a la sincérité de son côté, il n’en est pas de même quant à la subtilité des moyens plastiques employés. Cette volonté d’être au plus près des événements, de scruter en gros plans consciencieux tous ces visages accablés par le chagrin et la souffrance, de recourir à une musique pathétique : autant de parti pris suffisamment présents pour nuire à un film dont le sujet, déjà chargé, nécessitait un peu plus de distance et de pudeur. Que revienne en mémoire ce passage où un homme, qui a perdu tout le reste de sa famille, assiste à la mort de son dernier fils dans une chambre d’hôpital, et toute l’impuissance du cinéaste éclate au grand jour. En ne cherchant par ses moyens d’expression qu’à surligner une situation déjà extrêmement dramatisée, Mendoza obtient le contraire de l’effet escompté. Au mieux ressent-on une gêne devant tant de maladresse ; au pire, une certaine indifférence.
À l’image de cette séquence d’incendie qui ouvre le film, Taklub se révèle incapable de créer le moindre hors-champ, et répond malgré lui à l’injonction du tout voir. Voir la famille prisonnière des flammes à l’intérieur de la tente. Voir, à l’extérieur, les voisins qui tentent d’éteindre le feu. Voir, à l’issue de l’accident, les cadavres calcinés des victimes. Enfin, voir les larmes des témoins, restés impuissants face au désastre. Tout ceci, accompagné de ces tremblements constants du cadre, si caractéristiques du cinéaste philippin, et qui ne font qu’enliser le film encore davantage. Pourtant, l’un des précédents films de Mendoza, Kinatay, tirait précisément sa force d’une même caméra nerveuse : en épousant le point de vue de l’innocent face à un mal d’abord observé à la dérobée, et qui finissait par déteindre sur lui, le récit trouvait une véritable corrélation entre forme et fond. L’instabilité constante du cadre se faisait l’écho de ce balancement moral du protagoniste, sur ce fil ténu qui sépare l’observateur passif du voyeur, le simple témoin du complice – dispositif d’autant plus implacable qu’il incluait le spectateur lui-même. Dans Taklub, ce principe de mise en scène ne paraît renvoyer qu’à une très prosaïque volonté de « faire documentaire », sans prendre en charge un regard spécifique. Le film trouve ici son autre point limite : Brillante Mendoza, dépassé par l’ampleur du sujet, n’a pas su aller au-delà de la simple illustration.