Le thème est plutôt original (dans mon référentiel cinématographique du moins) et traite de la question du vacillement de la foi chez un croyant turc. Ou, plus précisément, de la dissonance cognitive qui se fraye un chemin au sein de la conscience intègre de ce musulman, à mesure que les écarts se creusent entre les préceptes divins prônant la bienveillance et l'application prosaïque des ordres du groupe religieux qui l'emploie. D'un côté "aime ton prochain" et "prends soin du nécessiteux", mais de l'autre "va collecter les loyers des immeubles gérés par l'institution même auprès des plus pauvres qui ne peuvent plus joindre les deux bouts".
À la racine du récit, "Takva" touche à quelque chose proche de l'inintelligible chez moi, la conduite d'une existence en suivant des règles (morales, philosophiques, intellectuelles) consignées dans un unique recueil. Mais cela n'empêche pas pour autant le film de se faire, lui, intelligible dans le tiraillement progressif qui écartèle peu à peu le protagoniste Muharrem. On ne peut pas dire que le réalisateur Özer Kiziltan ait mis en scène un portrait d'une incroyable subtilité et d'une incommensurable profondeur, mais il y a malgré tout quelque chose de positivement curieux dans le sort de cet homme à la fois sincère, modeste, solitaire, se contentant de peu, exerçant sa religieux de manière stricte et strictement personnelle — il panique le matin au réveil après une nuit agitée par des rêves puissamment érotiques, mais il ne va pas faire la morale à ceux qu'ils voient en train de boire de l'alcool malgré tous les tourments que cela provoque en lui.
C'est là le nœud le plus intéressant du film : comment ce croyant modeste, par la force de sa dévotion, gravit presque malgré lui les échelons et accède à un statut social élevé lui octroyant des avantages (téléphone, costume, voiture avec chauffeur) qui entrent en conflit avec son vœu de simplicité et de pauvreté non-miséreuse. La dénonciation de l'hypocrisie des fondamentalistes ainsi que de la faiblesse intellectuelle de leur programme est un geste particulièrement facile, limitant de fait la portée d'un tel projet, tout comme le point final de cette trajectoire : la catatonie. Mais le point de vue singulier sur la désillusion mérite le micro-détour.