Tale of Tales continue, par sa sélection officielle, la romance qui unit le Festival de Cannes à Matteo Garrone. Déjà adoubé en ces lieux de deux Grand Prix successifs pour Gomorra (2008) et Reality (2012), le cinéaste italien marque avec cette œuvre aussi bien une rupture qu’une continuité dans sa filmographie. Rupture parce qu’il s’essaie pour la première fois aussi bien au genre fantastique (l’adaptation du Conte des Contes de G. Basile) qu’au film d’époque (une renaissance sans lieu ni date). Il rompt ainsi avec l’image de portraitiste de l’Italie contemporaine qu’il l’avait mené par le biais du réalisme social à questionner le poids de la mafia (Gomorra) et celui de la notoriété illusoire (Reality). Néanmoins, Tale of Tales s’inscrit dans la continuité d’un thème cher au cinéma de Garrone : la question de l’incursion d’une certaine irréalité, l’extraordinaire, dans le quotidien, l’ordinaire. Il amplifie par les codes du fantastique le schéma de ses œuvres qui s’axent autour de basculements engendrés par une sorte de fatalité sociétale (la violence, l’estime de soi). L’incursion du cinéaste italien dans l’univers typique – et typé – du conte pouvait alors entraîner quelques attentes.
Cependant, Tale of Tales souffre des mêmes maux qui gangrenaient déjà Reality. Matteo Garrone écrase ses œuvres par une volonté exacerbée de montrer sa présence en tant que réalisateur. Il ne cherche plus à conter un récit, mais à conter des images. Mais jusqu’où peut-on détacher la forme du fond d’un film ? Il offre certes un écrin à ses contes italiens en éblouissant par des plans maîtrisés dans des décors baignés dans une lumière calculée où virevolte un casting international (plus ou moins inégal) dans des costumes somptueux. Mais Tale of Tales se révèle être une coquille bien vide à force de vouloir répondre à des critères assez stéréotypés du « film cannois » : un travail visuel appuyé (sorte de gloire du film à dispositif) rendant compte de l’horreur de l’homme.
L’œuvre se résume à trois contes inégaux – sélectionnés parmi la cinquantaine qu’offre l’ouvrage de G. Basile – censés amener une réflexion sur la femme et ses névroses à travers les différents âges de sa vie. Dans « La Puce », Violet (Bebe Cave, une révélation totale) symbolise l’envie du passage de la fille à la femme face à un père absorbé d’amour pour une puce. Dans « La Reine », le personnage joué par Salma Hayek est prêt à tout pour devenir mère. Enfin dans « Les deux vielles », Dora et Imma refusent de vieillir par tous les moyens. Ne sortant pas (ou peu avec Violet) des archétypes de la femme dans les contes – faire-valoir des hommes –, Matteo Garrone rate son adaptation. S’il pense Le Conte des Contes comme une œuvre sacro-sainte qui pose les bases des contes des Grimm ou de Perrault, il oublie de ne pas tomber dans les codes déjà bien usés de ce genre au XXIe. Y a-t-il vraiment une différence entre les productions Disney (cherchant la beauté et le spectaculaire) et celle du cinéaste italien ?
En effet tout comme ces dernières, Matteo Garrone affadie ses personnages par une explosion de moyens censée émerveiller le spectateur. En plus de l’écraser sous des effets visuels peu reluisant, il annihile toute l’ambition psychologique de ses personnages. La détresse de Violet est déviée par les (trop) nombreuses et (trop) longues scènes de fuite face à un ogre néanderthalien affligeant. Tandis que la folie grandissante de la Reine – principal échec de l’œuvre – se transforme en des monstres grotesques. Les productions actuelles semblent montrer que l’homme, dans son intégrité morale, n’a plus sa place dans un monde imaginaire qui se peuple de plus en plus de monstres.
Tale of Tales se disloque dans cette volonté paradoxale de coller à l’univers du conte et de faire un film « de festivals ». A l’émerveillement s’ajoute une fausse subversion symbolisée par un Vincent Cassel n’arrivant plus à sortir des rôles de pervers que le cinéma international lui octroie. La nouvelle œuvre de Matteo Garrone est malheureusement qu’une œuvre pour les yeux bien loin, hélas, des œuvres qui l'ont installé au panthéon des cinéastes cannois.