Tardes de soledad
7.6
Tardes de soledad

Documentaire de Albert Serra (2024)

Si je suis allé voir ce film, c’est parce que c’est un film d’Albert Serra.

Et pas n’importe lequel : son premier documentaire.


Bien que je sois assez indifférent à la corrida, je n’ai pas vraiment d’avis, si ce n’est que c’est, pour moi, un truc d’Espagnols avec des costumes à paillettes ridicules et ringards, violents voire vulgaires, un peu moyenâgeux.


Mais dès les premières images du film, on comprend où l’on met les pieds. Dans un film de cinéma, qui cherche à nous montrer quelque chose de beau.

Un taureau entièrement noir, filmé de loin (comme toutes les images d'animaux dans ce film), la nuit, dans un champ. Tout le travail sonore est exceptionnel. On entend le taureau respirer, charger, souffler, mourir.

Ensuite, on embarque avec Andrés Roca Rey, notre personnage principal, et sa cuadrilla, dans un même « plan voiture », qui reviendra souvent pendant ces deux heures et quelques.

Filmé de face, on ne peut que trouver beau le jeune torero, au regard assez neutre, tantôt en transpiration, épuisé de fatigue, voire même éclaboussé de sang. Taciturne.


Mais fini le suspense, on arrive dans l’arène.

Serra a mis en place un système avec trois caméras placées à différents endroits, avec une vue de haut. Le fait d’être loin, avec un zoom, procure parfois une sensation terrifiante ; on ne sait pas si le torero est à côté ou à plusieurs mètres de la bête. Et c’est ça qui fait le sel de ce film.

C’est de voir un homme, seul ou presque, face à un être d’une puissance incomparable. J’ai toujours eu la sensation que la corrida était injuste pour l’animal.

Des champs contre-champs jamais vus auparavant (Serra n’a pas manqué de le dire plusieurs fois : la corrida n’a effectivement jamais été filmée ainsi), et surtout le visage de cet homme, quasiment possédé lorsqu’il pratique sa discipline.

Le buste toujours bombé dans ses costumes, la bouche ouverte « Ola toro, ah ah ! », et les yeux fixés sur son adversaire.

Il parle peu, c’est surtout son entourage qui le félicite et qui s’occupe de faire la conversation, dans l’arène comme dans la voiture.


C’est un milieu très, très masculin : « T’as eu des couilles », « Il faut des couilles pour ça », « Quelles couilles, Andrés ! ». Mais on sent, en plus d’une vraie tendresse, de l’admiration pour ce type. Pas seulement par intérêt, aucune jalousie non plus. Ils savent qu’ils sont avec un grand, et sans doute qu’ils profitent de sa lumière avant qu’il ne meure bientôt, peut-être sous les cornes d’un taureau qui aura su le vaincre.


Mais de temps en temps, ces mêmes assistants, en plus de lâcher quelques insultes à l’encontre de l’animal, se transforment en personnages quasi métaphysiques de mythologie : « La vie ne pèse rien », « C’est les fronts de l’âme » ou encore « Tue-le avec une vérité pleine ». Et ça donne un aspect beaucoup moins vulgaire au tout, presque poétique. J’ai même trouvé ça assez beau parfois.


Je n’aurais sans doute pas le même avis si je ne l’avais pas vu en salle, mais une des plus belles scènes pour moi est celle où il porte un costume noir et rouge, et se fait mettre à terre une première fois par le taureau. Puis une deuxième fois, il se fait plaquer contre une barricade en bois, le visage entre les cornes et en sang. Tout le monde lui vient en aide, il se relève en boitant et dit d’une voix assez calme : « Ça va, putain. J’y retourne ». Je n’attendais qu’une chose : qu’il gagne. Et tout d’un coup, je trouve qu’il y a finalement plus de balance entre le taureau et l’homme. Même si à chaque fois qu'ils "terminent" un taureau à la main, c'est cruel.


Un film un peu long à la fin, mais c’est par sa beauté plastique qu’il m’a séduit. Je n’ai rien appris sur la corrida, il n’y a pas de jugement ou de parti pris moral qui est très claire (Serra admet qu’il ne connaissait pas trop ce sujet, qu’il l’a choisi un peu poussé par certains amis), ce qui serait sans doute attendu par certains. Pour autant, ça ne m’a pas donné envie de m’y intéresser davantage.

En revanche, j’ai hâte de découvrir le reste de la filmographie d’Albert Serra.

Chlorella
8
Écrit par

Créée

le 18 mars 2025

Critique lue 251 fois

4 j'aime

Chlorella

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