Après un rapide et inhabituel détour par le registre de la comédie dans Les Finances du Grand-Duc (1924), Murnau revient avec quelque chose de plus dramatique mais toujours avec une forme d’exploration, dans Tartuffe.
Adaptation d’une célèbre pièce de Molière, Tartuffe met en scène un vieil homme riche, manipulé par sa gouvernante, qui met tout en œuvre pour l’affaiblir, et pour récupérer son héritage. Son héritier légitime est son petit-fils, mais elle le voit d’un mauvais oeil, et parvient à retourner le vieil homme contre lui, pour devenir l’unique héritière de sa fortune. Flairant le mauvais coup, voulant extirper son grand-père des griffes de la gouvernante mal intentionnée, le petit fils se fait passer pour un homme de spectacle projetant des films dans des fêtes foraines ou chez des gens. Il parvient alors à convaincre la gouvernante de projeter une version cinématographique de Tartuffe chez son grand-père.
Bien qu’il ait gagné en maturité, le cinéma de Murnau reste motivé, en cette période, par l’expérimentation. Après Le Dernier des Hommes (1924), chef d’œuvre aux mouvements de caméra révolutionnaires et surprenants, puis Les Finances du Grand-Duc, une comédie, Murnau propose, avec Tartuffe, un film dans le film, et de briser le quatrième mur. Cette fois le metteur en scène est dans le film, pour montrer un film, et communiquer grâce au medium cinématographique, quand ce n’est plus possible autrement. Le film cherche donc à s’articuler autour d’un double dénouement, avec, d’abord, celui de l’histoire de cette version filmée de Tartuffe, puis celui de la « vraie vie », face au grand-père et à la gouvernante.
Comme dans la plupart de ses films précédents, et dans beaucoup de films allemands de l’époque, tout est une question d’apparence, où les personnages prétendent être ce qu’ils ne sont pas, où ils assoient leur influence sur des mensonges, détournant la vérité pour leur propre profit. Pour le petit fils, c’est un jeu de rôle visant à mettre la vérité en lumière. Pour Tartuffe, c’est un jeu de manipulation malsain où l’application stricte de la doctrine religieuse cache l’abandon au péché. Comme Mabuse, comme le comte Oetsch dans La Découverte d’un secret (1921), comme le comte Orlok dans Nosferatu (1922), chacun avec leurs propres motivations, Tartuffe est un personnage implacable, respecté car puissant, ayant le pouvoir de faire basculer les destins. Et comme dans beaucoup de ces films, la femme est l’inconnue dans l’équation, faisant pencher la balance, et décidant, finalement, de ce qu’il adviendra. En se basant sur les obsessions des hommes et sur la cupidité, Tartuffe s’inscrit dans la lignée des précédents films de Murnau, en continuant de raconter les déboires d’une certaine noblesse, le tout dans un décor toujours souvent ensoleillé.
C’est également un film qui capitalise beaucoup sur la figure de Tartuffe, qui n’apparaît qu’au bout d’un certain temps, sous les traits d’un Emil Jannings au jeu très expressionniste, qui semble déjà dans son rôle de Mephisto dans Faust (1926). Court (une petite heure), Tartuffe va à l’essentiel, restant fidèle aux sujets de prédilection de Murnau, qui continue d’expérimenter et de surprendre le spectateur en cherchant toujours de nouveaux moyens de raconter ses histoires. Mais le meilleur est à venir.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art