« I got some bad ideas in my head. » TRAVIS BICKLE

Paul Schrader est un critique cinéma du Michigan qui, en 1972, touche le fond. Plaquer par sa femme, il perd son poste à l’American Film Institute et se met à errer dans Los Angeles avec, pour tout abri, sa voiture. Il mange n’importe quoi, regarde des films porno, se noie dans l’alcool. Obsédé par les armes à feu, il envisage le suicide. Alors qu’il se présente à l’hôpital pour un ulcère à l’estomac, il s’entend parler à l’infirmière et se rend compte qu’il n’a pas utilisé ses cordes vocales depuis des semaines.

Tirant son inspiration du journal intime d’Arthur Bremer, qui tenta d’assassiner le candidat présidentiel George Wallace en 1972, Paul Schrader rédige un scénario en deux semaines. L’histoire suit les pérégrinations nocturnes d’un chauffeur de taxi new-yorkais, un vétéran du Vietnam violent et aliéné, qui sillonne les rues de la ville, nettoyant le sang et le sperme sur sa banquette arrière. Paul Schrader dit alors qu’il s’agit d’une tentative d’exorciser le mal qu’il sent en lui.

Plus tard, Paul Schrader admettra : « Travis Bickle, c’est moi ! ».

Personne ne veut du scénario. Pourtant, tout le monde pense que c’est un scénario génial. Même Brian de Palma, pourtant enthousiaste, le refuse pensant que personne ne voudra aller voir un film aussi sombre. Le producteur Michael Philips est aussi un fan du scénario, mais après que sa femme l’ai lu, elle refuse catégoriquement de rester seule dans une pièce avec Paul Schrader.

Le scénario passe de main en main et fini dans celle de Martin Scorsese qui a l’impression d’avoir rêvé de cette histoire tant celle-ci raconte intimement la colère, la solitude et l’aliénation vécue dans sa jeunesse. Paul Schrader, dans un premier temps, préfère se réserver pour un réalisateur plus célèbre, mais après avoir visionné Mean Street, il change d’avis, à condition que le réalisateur prenne Robert De Niro dans le rôle de Travis Bickle. De Niro se montre emballé par le scénario, travaillant lui-même à l’époque sur l’histoire d’un assassin politique qu’il abandonne aussitôt.

Le trio est ainsi formé. Les trois hommes accouchent donc de ce fléau autoproclamé qu’est le marginal Travis Bickel. En résulte, cette rare synergie à trois voies, ou chacun se retrouve dans le personnage, qui caractérise les plus grands des films.

Malgré toutes les difficultés de production et d’entente avec les studios, Martin Scorsese était très fier de Taxi Driver. La veille de la sortie, il rassemble toutes ses équipes lors d’un dîner et déclare : « Qu’importe ce qui arrive demain, nous avons fait un film fantastique et nous sommes bien fiers, même s’il doit finir aux chiottes. ».

Le matin de la première, en 1976, Paul Schrader n’entend pas son réveil. Quand il arrive enfin au cinéma vers midi, il tombe sur une queue de plusieurs centaines de mètres. Et il comprend alors que la queue n’est pas pour la séance de midi, mais pour celle de l’après-midi. Ça a été un moment de joie pure. Le film fait un carton. Il rafle plus de 50.000$ dès la première semaine d’exploitation à New York et engrangera plus de 25.000.000$ au total. C’est alors le succès le plus important et le plus improbable de la carrière de de Martin Scorsese.

Ce qui subjugue dans ce film et surtout dans cette fin, même après plusieurs visionnages, et moins son côté choquant que son inévitabilité. Les scénaristes utilisent souvent ce terme pour qualifier le rebondissement parfait dans une intrigue. Or, cela demande un mélange très rare de poésie et de pathos pour qu’un tel bain de sang paraisse aussi inévitable que la pluie.

Il faut alors revoir le film pour comprendre comment ils y sont parvenus, comment ils ont amorcé le piège, et pour voir si l’on parvient à détecter le point de non retour, le moment où Travis peut encore éviter de basculer. Et qu’en conclut-on ? Qu’il avait déjà basculé dès le début, à la vue de tous.

Quelque chose ne tourne pas rond chez ce type qui revient du Vietnam. Iris le prend pour un agent des stups, Sport le prend pour un flic... Quand Travis s’efforce de s’ouvrir à son collègue chauffeur, il lui avoue qu’il y a des moches idées qui lui travaille dans la tête. Mais son collègue lui conseille juste d’aller tringler, ce qui constitue l’une des pires choses à dire à Travis, lui qui fuit le sexe opposé et se réfugie dans des chastes rêves entre fausses galanteries et fantasmes obscènes. Il n’y a presque pas de sexe dans ce film, voilà de quoi ça parle, de l’absence de sexe, de toute cette énergie, et ces émotions refouler, contenu, qui explosent en une giclée de sang finale.

Martin Scorsese fait deux apparition dans son film. Dans la première, il reluque Cybill Shepherd à l’angle d’une rue, et dans la seconde, il livre son fameux monologue à l’arrière du taxi de Robert De Niro, qui l’écoute d’écrire comment il va tuer sa femme avec un Magnum 44 : « Faut le voir, un coup de Magnum 44, dans le sexe d’une femme ». Cette brève apparition n’en est pas moins une démonstration extrêmement troublante de confession intimes, qui révèle les abîmes de noirceur d’où le film semble issue.

Tout paraît sombre grâce à l'atmosphère oppressante créée par la mise en scène, les éclairages et les thèmes abordés. La ville de New York est filmée la nuit, plongée dans des tons noirs et rouges, avec des ruelles obscures et des néons agressifs, symbolisant la corruption et la décadence urbaine. Travis évolue dans cette obscurité, reflétant son aliénation et sa détérioration psychologique. La musique mélancolique de Bernard Herrmann et les plans serrés renforcent cette impression d'enfermement et de descente progressive dans la violence, donnant au film un ton viscéralement sombre et désespéré.

La musique de Bernard Herrmann (compositeur réputée pour son travail avec Alfred Hitchcock) est un élément clé qui accentue l'atmosphère du film avec une touche jazzy et mélancolique. Les lignes de saxophone, souvent langoureuses et répétitives, reflètent l'isolement et l'errance intérieure de Travis, tandis que les orchestrations lourdes créent une tension sourde. Ce contraste entre la douceur du jazz et la gravité des cuivres capture parfaitement le malaise ambiant et la dualité du personnage principal, oscillant entre rêve et cauchemar. La bande originale devient ainsi une sorte de miroir sonore, envoûtant et sombre, qui sublime l'expérience cinématographique.

Bernard Herrmann est décédé avant la sortie de Taxi Driver le 23 décembre 1975 à l'âge de 64 ans. La sortie du film lui est dédiée en hommage.

Taxi Driver a remporté la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1976, consacrant ainsi le film de Martin Scorsese comme une œuvre majeure du cinéma. Ce prix prestigieux a marqué la reconnaissance internationale de l'impact social et artistique du film, qui explore l'aliénation urbaine et la violence psychologique à travers le personnage troublé de Travis. Ce prix à Cannes a non seulement renforcé la carrière de Scorsese, mais aussi confirmé l'importance de son style visuel unique et de sa capacité à capturer le malaise contemporain dans un cadre cinématographique percutant et viscéral.

Alors que Paul Schrader s’est inspiré du journal intime d’Arthur Bremer, l’homme qui a tenté d’assassiner le candidat présidentiel George Wallace, je le rappel. Tragiquement, le film a lui-même inspiré une figure réelle dans un acte de violence : John Hinckley Jr., obsédé par l'actrice Jodie Foster a tenté d'assassiner le président Ronald Reagan en 1981 pour attirer son attention. Cet événement a renforcé la notoriété du film, mais aussi soulevé des questions sur l'influence de la fiction sur des individus instables.

Taxi Driver est un film intense, sombre et perturbant, qui n'est pas destiné à tous les publics. Avec ses thèmes de solitude extrême, de désespoir, de violence psychologique et physique, il dépeint une réalité urbaine oppressante et le glissement progressif d'un homme vers la folie. La tension constante, les scènes de violence crue et l’exploration de la psyché troublée de Travis peuvent être choquantes et mal comprises. C'est une œuvre puissante et complexe, mais sa dureté et sa profondeur psychologique exigent un certain recul émotionnel et une maturité, en faisant un film à ne pas mettre entre toutes les mains.

La conclusion de Taxi Driver laisse place à de nombreuses interprétations. Après un climax sanglant où Travis sauve Iris, une jeune prostituée, de ses proxénètes dans une explosion de violence, il est paradoxalement perçu comme un héros par la société, malgré son profond mal-être et ses actions destructrices. La scène finale, où Travis retourne à son travail de chauffeur de taxi, donne l'impression qu'il a été temporairement réintégré dans la société, mais l'ultime regard dans le rétroviseur, plein de tension, suggère que sa folie sous-jacente n'a jamais vraiment disparu. Cette ambiguïté finale souligne l’idée que Travis reste une bombe à retardement, et que le cycle de violence pourrait recommencer, laissant le spectateur réfléchir sur la frontière mince entre héroïsme et aliénation dans une société dysfonctionnelle.

StevenBen
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le 7 oct. 2024

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Steven Benard

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