Travailler, c’est avant tout jouer un rôle, jusqu’à remplir tous les cases préétablis d’un boulot parfois aliénant comme celui de chauffeur de taxi. Cela demande de la tenue, de savoir refouler les mauvaises pensées durant les longs trajets afin de ne rien laisser transparaître auprès de la clientèle. A la longue ça peut user, surtout quand vous souffrez d’insomnie et de la solitude comme cet ancien combattant du Vietnam, qui va peu à peu perdre son équilibre psychologique au fur et à mesure de ses tentatives de reconnexion à la communauté. Travis Bickle n’arrivera jamais vraiment à se fondre dans le moule, en attestera d’ailleurs son lamentable rencart où il va faire l’erreur d’emmener son date voir un film pornographique.
Autre problème, il ne sait pas mettre des mots sur ses maux. Quant-il tente de communiquer avec ses semblables, comme avec son collègue Wizard, il n’arrive pas à s’exprimer correctement pour se faire comprendre de ce dernier au sujet des tourments intérieurs qu’il tente péniblement de réprimer. Se protéger implique de se forger une carapace et de jouer sa partition sans jamais se soucier du reste. Travis ne saura jamais prendre le recule nécessaire pour se protéger de la misère des gens qu’il côtoie à longueur de soirées.
Afin de passer le temps, Travis va arpenter les grandes avenues de New-York comme un ange déchu au milieu d’un enfer où les cratères de fumée se verraient substituer aux bouches d’égout d’où émanent des nuées tout en développant parallèlement une fascination morbide pour les armes à feux. L’insécurité permanente de la ville va alimenter sa paranoïa, tant et si bien qu’il va se mettre à rêver de pouvoir tuer dans le cadre d’une noble cause, comme pour porter un discours fasciste visant à assainir les quartiers de toute forme de criminalité. Dans sa lente déliquescence, le chauffeur borderline va tout de même conserver des notions de moralité, c’est pourquoi il ne s’attaquera jamais à des personnes qu’il estimera innocente même si sa présence lors d’un meeting politique du sénateur Palantine va s’avérer aussi troublante que gênante pour les gardes de la sécurité. Son choix va plutôt se porter sur un proxénète prostituant une jeune fille de 14 ans du nom de Iris qu’il va alpaguer et tenter de raisonner durant les quelques temps de sa transformation en redresseur de torts.
Son obsession à vouloir s’attaquer à des gens qu’il perçoit comme le mal absolu, n’a rien d’un acte chevaleresque pour sauver Iris, il ne le fera que pour expurger le démon enfoui en lui, afin de remettre de l’ordre dans ses pensées plus que dans ces rues malfamées. La descente aux enfers de Travis appuyé par sa montée en pression va évidemment converger vers un final brutal et meurtrier dont il sortira grièvement blessé mais aussi libéré. Quant-il mime le geste d’un pistolet qu’il presse contre sa tempe, il s’agit avant tout d’une délivrance plus que d’un simple motif de satisfaction personnel. Même si, comme on le verra par la suite, le « justicier » sera porté en héros par les journaux. Il peut tout à fait s’agir du fantasme d’un homme comatant dans son lit d’hôpital. Mais une chose est certaine, c’est qu’après son dérapage, Travis va enfin parvenir à se ranger dans le cadre bien normé de la société. Peut-être n’est-il pas réellement heureux de cette condition, mais en tout cas cette fois-ci, rien ne laisse apparaître un quelconque mal être au volant de son taxi.
C'est ici l'enfer.
Si toi aussi tu es un gros frustré qui en a marre de toutes ces conneries, eh bien L’Écran Barge est fait pour toi. Tu y trouveras tout un arsenal de critiques de films subversifs réalisés par des misanthropes qui n’ont pas peur de tirer à balles réelles.