Visionner "Tchao pantin", c'est se favoriser une rencontre inoubliable avec Coluche.
Une rencontre du troisième type... pour céder à la tentation du clin d'oeil cinématographique.
La rencontre du premier type, c'était avec un personnage de music-hall en salopette à rayures pratiquant comme personne avant lui l'humour grinçant et la dérision provocatrice.
Celle du deuxième type, c'était avec un acteur au don comique évident ayant fait le succès de films signés Claude Zidi, ou Claude Berri, justement.
Quant à ce troisième type, il faut bien admettre qu'on était loin de l'envisager, à l'époque. Comment ? Coluche dans un rôle on ne peut plus grave, incarnant un personnage sombre au centre d'un film noir à la française... Suicide cinématographique collectif ? Ben non, c'est donc "Tchao pantin", film entré dans les annales (N.B. : toujours faire gaffe à l'orthographe en écrivant ce mot !) comme celui révélant un prodigieux acteur dramatique !
Totalement à l'opposé de ses personnages précédents, synonymes de rigolades parfois faciles et de situations souvent grotesques, Coluche est ici un être qui met mal à l'aise. Physiquement, avec ses pattes façon rouflaquettes et sa fine moustache plus inquiétante que séduisante (quelle transformation de visage !). Et aussi moralement, car derrière ses gestes mécaniques de pompiste de nuit, on pressent une terrible blessure d'esprit qui n'en finit pas de ne pas se refermer. Etre à la dérive, ce pompiste nommé Lambert n'attend strictement plus rien de la vie.
Et encore moins des gens ! Passant ses intermèdes de travail à noyer sa solitude et son dégoût de tout dans de grandes rasades de rhum. Chaque nuit, un peu plus plongé dans sa descente aux enfers. Jusqu'à celle où surgit dans son univers blafard un jeune loubard, dealer par nécessité, pour lequel il va sortir de sa léthargie suicidaire. Allant jusqu'à nouer des rapports père-fils avec ce marginal comme lui (qui plus est, moitié Juif et moitié Arabe !). Son assassinat, sous ses yeux, va être le déclic pour Lambert. Il va se transformer en un justicier impitoyable. Une manière pour lui de prendre une revanche sur un passé auquel il est enchaîné à jamais. Une revanche sur son statut social d'homme invisible...
Dans ce film portant un regard à la fois lucide et attendri sur des êtres en marge (s'ajoute aussi de façon prenante une punkette, incarnée par une Agnès Soral en révélation assez fracassante), Coluche fait une composition qui tient de la perfection. Intriguant et émouvant au-delà de l'imaginable, avec des attitudes, regards, silences, réactions qui font de lui un anti-héros inoubliable !
Si Lambert prend une revanche sur sa sombre destinée, Coluche en prend une aussi, d'éclatante manière. Sur tous ceux qui l'avaient un peu vite classé comme simple amuseur public.
Leçon de ce film : "c'est l'histoire d'un mec..." portant en lui l'art de provoquer l'hilarité ambiguë, mais aussi celui de susciter l'émotion vraie. L'apanage des grands comédiens !