“Tchao pantin” est un film noir, ultra noir, composé de deux parties bien distinctes. La première présente les personnages et montre très délicatement, avec beaucoup de soin et de patience comment se construit la relation amicale, puis filiale entre Lambert (Coluche) et Youssef (Richard Anconina). La seconde détaille avec un peu plus de fracas la vendetta de Lambert sous les yeux et le cœur de Lola (Agnès Soral).
La première partie opte pour un ton très doux, bien qu’entouré par les brumes du noir. La photo est éclairée par une lumière sombre et rehaussée par des couleurs très crues de la ville, bleues et rouges la plupart du temps. Alors que la deuxième me semble encore plus ténébreuse, sauf un joli plan final rayonnant du ciel de Paris, zébré du vol des pigeons et des premiers rais de soleil matinaux, semblant comme une résurrection, un éclair de vie pour Lambert.
A 99,99% très noir, le film ne l’est pas uniquement sur l’image bien sûr. Ce parcours en forme de rédemption est tout simple, assez classique bien qu’il met en branle tout un monde interlope marqué par son temps, un Paris populaire, cosmopolite, pauvre, où tout le monde essaie de survivre, se télescopant parfois, oubliant sa solitude comme il peut, dans l’alcool, la dope ou dans des espoirs minces d’amour, d’amitié, de mains et de lèvres tendues.
Rien de révolutionnaire, sauf que le scénario et la mise en scène de Claude Berri manient tout cela de façon très habile : à la fois par son réalisme cru, au limite du pathétisme, le film, sans tomber non plus dans la caricature exprime une tendresse évidente de générosité pour ses personnages. Lambert a beau dire : il n’est pas aussi mort qu’il le croit, et c’est là son drame. Mais comme il s’agit d’un film noir, forcément sa vie ne tient plus qu’à un fil. Trop tard pour la renaissance.
La direction d’acteurs est impressionnante. Les comédiens restent toujours dans les clous, ultra précis et offrent des prestations merveilleuses. J’ai bien conscience que l’adjectif est fort, mais en aucun cas il n’est disproportionné ni usurpé.
Le jeune Richard Anconina se révèle extrêmement juste, sobre. Coup de maître pour son premier grand rôle.
La performance d’Agnès Soral, elle aussi révélée par ce film, est remarquable pour un rôle tellement casse-gueule. Son personnage doit jouer de l’esbroufe punk, mais en plus elle doit opérer de compliqués virages à 90 degrés avec Anconina d’abord, puis avec Coluche. Elle pourtant fort bien la route, crédible du début à la fin.
La prestation de Coluche est désormais historique : dès qu’un comique dévoilera son talent de tragédien, on parlera dorénavant de son “Tchao pantin” en guise de mètre-étalon de la conversion réussie et révélatrice. En effet, Coluche nous met une belle claque : très fermé, très sobre lui aussi, il maintient un jeu efficace, sans éclat particulier, dont les nuances apparaissent progressivement avec une puissance inattendue, jusqu’à cette fameuse scène finale où il nous fait totalement oublier le clown pour nous cueillir par ses larmes, simples, pudiques qui soulignent toute la finesse de son jeu. Dans l’humour comme la tristesse, Coluche aura su jouer avec sincérité et largesse.
Pas étonnant que ce film ait reçu autant de prix ; il les mérite amplement !
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