L'introduction est un peu trompeuse et laisse croire qu'on va assister à un film noir tendance social bien teigneux et incisif avec une séquence pré-générique diablement prenante où Sabu traverse les quais pour secouer les ouvriers qui font le piquet tandis que la voiture d'un des responsables de la compagnie s'avance vers le noyau de la contestation. Variété des cadrages, acuité du montage, sens du mouvement et des lignes, utilisation menaçantes des bruits lointains des chantiers navals... Une poignée de minutes qui impressionne dès le premier plan.
La suite s'assagit mais Shinoda ne se sépare jamais d'une réalisation brillante à base de plans fixes particulièrement denses qui témoignent d'une belle maîtrise du scope et de la photographie en noir et blanc. L'ambiance met en sourdine la violence pour privilégier la psychologie et le spleen qui habitent quasiment tous les personnages : Yuki, Sabu, son "père" adoptif, la maîtresse de ce dernier, les ouvriers bien-sûr largement exploités et même quelque part le grand patron frappé d'impuissance.
Cette atmosphère permet aussi de bien intégrer les différentes chansons interprétées par Takashi Fujiki (Sabu) qui tenait là son premier vrai rôle et que la Shochiku voulait sans doute mettre en avant. En plus d'être assez belles, elles sont plutôt bien intégrées au récit et n'arrivent pas fortuitement comme dans d'autres équivalents. On devine que Shinoda a vraiment travaillé la dramaturgie de son film qui tend de plus en plus vers la tragédie pour une dernier quart d'heure qui ne manque pas d'intensité et de force émotionnelle. Ca passe autant pas de réelles idées dans le sens de l'espace et de l'intégration des personnages dans les paysages, que l'utilisation des bruitages (une sonnette agressive qui claironne comme un sirène de bateau) ou la longueur des plans qui donnent une valeur inéluctable et oppressantes à certaines séquences. De quoi transcender un scénario finalement convenu et assez classique (aux ficelles parfois grossières) qui s'inscrit évidement dans cette nouvelle vague centrée sur les adolescents en révolte.


Et il y aussi une très bonne interprétation générale où le mal-être des protagonistes est bien palpable. Shinoda n'a pas l'air de juger ses personnages et il met en parallèle sans le moindre cynisme des séquences romantiques entre deux générations d'amoureux avec une certaine délicatesse et poésie.
Ca donne envie d'être indulgent envers les faiblesses du script (où la dimension sociale n'est en réalité assez peu présente), certains seconds rôles qu'on aurait aimé plus développé (le copain de Sabu surtout) et un rythme parfois un petit peu languissant.
Dans l'ensemble, c'est une très belle découverte, moins froide et conceptuelle que ses films plus connus en occident.

anthonyplu
7
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le 17 déc. 2017

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anthonyplu

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