Du sexe, il en est tout le temps question dans ce film qui montre avec réalisme l'état d'une République islamique iranienne corsetée à outrance par les lois religieuses mais dont les citoyens n'en sont pas moins des femmes et des hommes épris de désirs, de fantasmes et surtout de liberté.
Mais la liberté de rencontrer qui l'on souhaite et de se laisser aller à ses désirs les plus inavoués est réservée aux puissants, en l’occurrence à un juge de moralité adepte de pratiques SM, là où les simples citoyens doivent faire preuve d'expédients en tous genres et d'audace pour vivre la moindre relation sexuelle en dehors du sacro-saint mariage. Et c'est précisément ce qui arrive à Babak et Donya : une soirée dansante clandestine, un peu de drogue et une brève étreinte dans les toilettes qui laisse la jeune femme...déflorée. Or un hymen intact est un sésame absolu à toute relation sérieuse pour une jeune Iranienne non mariée. Reconstruire l'hymen perdu, tel sera le fil rouge d'un scénario remarquablement construit.
Et c'est ainsi qu'on découvre, 1h30 durant, le règne de l'hypocrisie généralisée, des mensonges à tous les étages de la société. Ali Soozandeh, le réalisateur, n'épargne personne dans son portrait au vitriol de cette capitale qu'il a dû quitter pour tourner son film. Ses personnages sont tous intéressants dans leur quête individuelle de liberté, mais surtout ils ne s'inscrivent jamais dans une vision manichéenne de cette société. Il n'y a dans ce film choral ni héros, ni bourreau. Chaque personnage, dont les portraits photographiques reviennent comme des virgules symboliques, incarne un besoin irrépressible de liberté - de création, de travailler, de scolariser son enfant... - tout en révélant des failles profondes.
Seul l'enfant, dont le mutisme renvoie à l'incapacité de mettre des mots sur ce monde absurde, semble sortir indemne de cette histoire. C'est même lui qui transformant les préservatifs que laissent trainer les clients de sa mère en bombes à eau, semble le plus déterminer à dynamiter cette gigantesque tartufferie dont il est le témoin tristement privilégié.
Un film par ailleurs magnifique sur le plan graphique grâce à une rotoscopie qui n'a rien à envier à Valse avec Bachir, et réussi sur le plan musical avec ses accents orientaux se mêlant aux samples de la musique contemporaine.
Un film courageux, engagé, à découvrir.


Personnages / Interprétation : 9/10
Scénario / Histoire : 8/10
Réalisation / Mise en scène : 8/10


8.5 / 10
<3

Theloma
8
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le 18 oct. 2017

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Theloma

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