1er film de fiction du réalisateur serbe Ognjen Glavonic jusqu’alors cantonné au documentaire, Teret aborde tout autant le réel : Durant la guerre de Yougoslavie en 1999, un chauffeur est chargé d’un convoi mystérieux auquel il n’a pas accès, et traverse un pays dont les plaies sont reléguées au second plan. Une vague canonnade, et une cargaison qui pèse par son silence ont la lourde tâche de signifier une horreur qui va contaminer toute l’atmosphère du récit. Ou comment faire de ses limites de moyens un parti-pris esthétique.
Le film s’enfonce avec courage dans un certain nombre de poncifs très Sélection cannoise (le film était à la Quinzaine 2018), avec sa brume, sa boue, ses longs plans-séquence silencieux rivés à un personnage mutique qui a bien compris qu’il n’avait pas à poser de questions, mais simplement à avancer dans cette odyssée sans faste qui fait de lui un complice. Pas de musique, un temps presque réel, des personnages frustes : tout, dans ce silence, est fait pour étouffer, jusqu’au but de cette trajectoire qui n’illustrera ni soulagement, ni héroïsme.
Le parti-pris esthétique joue donc toutes les cartes de ce road-trip aveugle dans lequel le hors-champ joue un rôle essentiel. Autour du chauffeur, une certaine vie – la fête des villageois, par exemple – mais surtout ce jeune passager qui va monter à bord et lui indiquer un itinéraire bis pour arriver à destination et contourner un pont bloqué.
Les parallèles de la parabole sont tous très lisibles, que ce soit sur la manière dont les civils avancent dans un pays devenu un charnier, et optent, presque par survie, pour l’aveuglement, le rapport à la mémoire collective et la question générationnelle face à l’Histoire. Par cette jeunesse qui investit la cabine, et ces rôles attribués aux objets (un briquet mémoriel, une bille qui insiste sur la barbarie présente), Glavonic sème un certain nombre d’indices qui viennent contrebalancer l’absence totale de contextualisation pour le spectateur non averti.
Après l’expérience du Fils de Saul qui reléguait au second plan l’horreur dans laquelle un témoin direct plongeait malgré lui, Teret procède sur un mode un peu similaire, mais avec moins d’ostentation : cette cargaison silencieuse fait du personnage qui préfère ne pas s’interroger un rouage d’une barbarie qui contamine n’importe quel être humain, jusqu’au spectateur douloureusement embarqué dans cette odyssée sans horizon.
(6.5/10)