Initiée par un diptyque visionnaire et insurpassable, la saga Terminator suivait jusque-là un développement plutôt cohérent (à l'exception du propos déterministe de T3), le quatrième opus signé McG se proposant d'initier enfin l'arc post-apocalyptique de l'intrigue. Mais le semi-échec de cette Renaissance ratée, son coût astronomique et la revente des droits de la franchise auront finalement eu raison de cette ambition, à mes yeux pourtant bien plus alléchante que le pitch improbable proposé par ce Genisys. Car s'il fut un temps question d'un reboot du premier opus de Cameron en guise de cinquième volet, les premières images du film de Taylor révélèrent enfin la teneur paradoxale de cette nouvelle intrigue... et laissèrent présager un bordel narratif sans nom.
Confié au téléaste Alan Taylor (on lui doit Thor Le Monde des ténèbres mais aussi quelques épisodes des superbes séries Rome, Deadwood et Le trône de fer), Genisys se propose donc de revenir aux fondamentaux de la saga en pompant sec une formule ayant fait ses preuves (Days of future past) pour mieux nier l'existence des deux précédentes suites sous prétexte qu'elles n'ont jamais contenter les fans. On retrouve donc ici la même approche mercantile d'un Jurassic World, à savoir ignorer les opus mal-aimés d'une franchise mythique en proposant un nouveau film à mi-chemin entre la suite et le reboot, propre à contenter le plus large public.
Le prologue post-apocalyptique nous narre ainsi les derniers événements avant la défaite de Skynet et ce qui conduit John Connor à découvrir la machine temporelle et à envoyer Kyle Reese dans le passé en 1984. Le film détourne alors toute l'exposition du premier classique de Cameron, nous ressert certains passages au plans (et aux répliques) près et arrive même parfois à en capter l'atmosphère noire et oppressante. Pas de réelle surprise quant au postulat de ce nouvel opus, l'essentiel nous a été spoilé dans les teasers et autres bandes-annonces au point que l'on connaît déjà une bonne partie du contenu du film. On n'est donc pas aussi surpris que Kyle Reese de découvrir une Sarah Connor aussi jeune que pugnace, déjà bien au courant de la destinée de son futur fils et de l'existence des machines. D'autant plus que la jeune femme a été élevée par le bien-nommé Gardian, un modèle de T-800 auquel elle a eu tout le temps de s'attacher et qu'elle appelle affectueusement pops (si, si, le bon vieux papy Terminator !). Ces deux-là n'ont ainsi pas attendu l'arrivée de Reese pour préparer leur contre-attaque et le trio s'apprête bientôt à faire un bon de trente-trois ans dans le futur pour empêcher Skynet d'être initialisé via une appli révolutionnaire dont le nom donne son titre au film. Autant dire qu'avec cette nouvelle intrigue répartie sur différentes temporalités, le mieux (ou le pire) pour le spectateur sera de connaître un minimum la mythologie Terminator et ce, même si le scénario de Genisys propose dès ses premières minutes d'ignorer toute la chronologie existante.
Et c'est bien là évidemment que le film de Alan Taylor fera grincer bon nombre de mâchoires, d'autant que la suite de l'intrigue regorge d'une flopée d'idées proprement sacrilèges dont l'une des moindres est de faire de John Connor himself le principal antagoniste du métrage. Ainsi sous ses atours hommageux, tout le premier acte suffit à décrédibiliser la dangerosité des antagonistes des deux premiers films. On passera sur le traitement réservé au tout premier T-800, lequel n'est plus vraiment à l'épreuve des balles mais souvenez-vous de cette saloperie increvable qu'était le T-1000, autrefois incarné par le glacial Robert Patrick (et à qui succède... un gonze). Il aura fallu plus de deux formidables heures à Cameron et une timeline de trois jours aux héros du second opus pour en venir à bout. Ici, Sarah et Papy ont pris tout le temps de préparer le trépas du monstre en métal liquide, lequel n'aura finalement droit qu'à trois courtes scènes d'action. Juste ce qu'il faut pour verser dans un fan service tout aussi opportun qu'injustifié (pour l'instant) et saper l'aura mythologique de la créature autrefois magnifiée par le réalisateur d'Aliens.
Passé une première partie farcie de clins d'oeil déférents à l'ère cameronienne (d'où le relatif capital sympathie du film), le scénario emprunte alors au concept de la série Les Chroniques de Sarah Connor et propulse Sarah et Kyle dans le futur (pour les faire apparaître en plein milieu d'une autoroute... tout comme Sarah et John à la fin du pilote de la série). Toute la partie se situant en 2017 se résume alors à une succession de scènes d'actions prétexte à la surenchère numérique de rigueur et dont on retiendra quelques séquences plutôt bien troussées dont en particulier celle du Golden Gate Bridge. Le spectacle est au rendez-vous certes mais manque dans l'ensemble cruellement de saveur. D'autant que le scénario, en plus de verser dans la même dérision démystificatrice que T3, sacrifie au spectaculaire la caractérisation de personnages dont on appréciera ou non les nouvelles incarnations. Ainsi, très loin de nous faire oublier la prestation mythique de Linda Hamilton, Emilia Clarke réussit néanmoins à trouver le juste équilibre pour jouer cette nouvelle version de Sarah Connor. Passons sur le cabotinage de Jason Clarke en John Connor versatile et sur le rôle ingrat réservé à l'excellent J.K.Simmons pour souligner la grosse erreur de casting qu'est Jai Courtney tant ce dernier se révèle totalement incapable de succéder à Michael Biehn dans le rôle de Kyle Reese. Un comble quand on sait à quel point le personnage joue un rôle déterminant dans l'intrigue.
Pour en rester aux "incarnations", les fans les plus mécontents auront à nouveau de quoi montrer les dents au vu du traitement réservé à Skynet dans la dernière partie du film. Mais laissez-moi y venir... Comme je l'ai dit, le programme informatique développé par Cyberdyne puis l'armée dans T2 et T3 devient dans ce nouvel opus un logiciel révolutionnaire et téléchargeable dans le monde entier. D'où la pseudo-critique facile de notre dépendance actuelle à la technologie (tous connectés) qui est encore une fois ici censé précipiter notre fin. Un propos sous-jaçent un rien réac et alarmiste (relativement mieux traité dans le remake de Robocop) qui pour le coup, reste fidèle à l'une des obsessions primordiales de Cameron, lequel a toujours nourri une certaine défiance vis-à-vis de la technologie. L'injure ne sera donc finalement pas à chercher dans ce maigre sous-texte mais plutôt dans la volonté aberrante de Taylor et de ses scénaristes de personnifier progressivement Skynet au cours du film jusqu'à oser lui donner un visage. Oubliez donc l'entité informatique, immatérielle par essence mais pas moins terriblement menaçante des précédents films, oubliez même le Turk de la série dérivée. Ici Skynet prend des allures de Doctor Who, voyage dans le multivers (un point qui sera probablement développé dans les deux suites prévues, séquence post-générique oblige) et justifie un peu trop son existence et sa volonté génocide dans des répliques pour le moins convenues et totalement redondantes.
Alors évidemment, on pourra toujours passer outre ces quelques "libertés" et saluer le caractère faussement innovant de cet opus, d'autant que l'ensemble, en plus d'être plutôt bien réalisé, a été adoubé par Cameron himself (moyennant certainement un chèque substantiel, comme il le faisait lorsqu'il encensait certains films d'animation japonais des 90's). Qui plus est, il convient de reconsidérer la franchise dans son ensemble et de reconnaître que celle-ci a toujours croulé sous le poids d'un diptyque légendaire dont la conclusion ne laissait de place à aucune itération. D'où cette vindicte récurrente et dans laquelle je me vautre peut-être un peu ici, je l'avoue. Car de la même manière que j'ai trouvé quelques qualités aux deux suites mal-aimés de T2, je conçois parfaitement que l'on puisse en trouver à cette refonte intégrale. Les nostalgiques les plus indulgents pourront donc trouver un certain plaisir à retrouver Schwarzenegger dans ce rôle de T-800 vieillissant (mais pas obsolète). Et ce, même si l'acteur injecte suffisamment d'humanité à son rôle de robot pour décrédibiliser définitivement à mes yeux son retour.