"Terre en transe" raconte le coup d'état qui fut orchestré quatre ans auparavant au Brésil et qui fit sombrer le pays dans la dictature. Tel pourrait être un résumé condensé jusqu'à l'extrême de cette oeuvre polémique qui causa d'intenses remous politiques à sa sortie. Malgré que Rocha fit se dérouler son histoire, non sans une pointe satirique au niveau du choix du nom, dans le pays fictif d'Eldorado, son rapprochement du réel n'en est pour autant pas amoindri. Pour ceux qui s'y connaissent, Costa-Gavras reprendra ce procédé avec son monumental "Z". Bref, nous connaissons les tracas que vécurent certains pays d'Amérique du Sud et il est important de s'y intéresser pour élargir ses horizons. Rocha veut faire un film engagé et incisif en traitant de l'un des sujets cristallisant le plus les passions voire même amène à faire fuir le spectateur moyen qui est la politique. Ronflante quand on s'y prend comme un manche mais palpitante entre les mains d'un véritable artisan investi. Et c'est bel et bien dans ce deuxième cas de figure que nous nous retrouverons. Moi qui n'avais jusque là passé que de bons moments devant sa filmographie sans pour autant grimper aux rideaux le kiki tout dur, "Terre en transe", le troisième cru que j'ai vu de lui, s'en est chargé.


Je ne tâcherai pas de développer de long en large tous les événements du scénario car il est important de garder une part de mystère mais ce qu'il faut bien comprendre est qu'une attention de tous les instants sera indispensable pour saisir tous les tenants et aboutissants. Cette contrée fantasque va être témoin de combats politiques intenses entre la droite et la gauche pour décrocher la place tant convoitée de chef d'état. Au milieu de tout ça, Paulo, jeune activiste révolutionnaire et idéaliste, qui verra petit à petit ses illusions voler en éclat. Il faut dire que quand des oligarques délaissent au second plan le peuple pour des histoires de fierté personnelle, de luttes intestines et des jeux d'influence dont la corruption n'est jamais loin, en ressortir de là avec un dégoût n'est qu'une résultante logique. A défaut d'avoir pour préoccupation l'avenir du pays, chacun sert ses propres intérêts et les motivations cachées sont parfois bien éloignées des réalités socio-économiques. En un sens, est-ce que les choses ont véritablement changé ? Même en Occident, ce schéma peut se vérifier avec les ambitions démesurées empreintes d'un narcissisme ridicule de candidats tout aussi piètres les uns que les autres.


Débordant de rage et de spontanéité qui ne laisse jamais de place à l'émotionnel impulsif, "Terre en transe" développe une intrigue riche et complexe qui réveille le Paulo en chacun de nous face à tant d'injustices et cette déconnexion du réel si emblématique. Les candidats à la présidentielle vivant dans de somptueuses demeures et ne fréquentant le petit-peuple l'espace d'un court instant que pour les gaver de promesses dont l'on doute de la sincérité. Celles-ci seraient plutôt empêtrées dans une mare de démagogisme et de malhonnêteté. Cette énergie si explosive de Paulo n'est pas sans rappeler toutes les préoccupations socio-politiques japonaises qui furent approchées dans la "Nouvelle Vague japonaise", en particulier par Shuji Terayama, Nagisa Oshima et surtout en pinku eiga avec Koji Wakamatsu. Eux aussi n'hésitaient pas à crier leurs peurs et leur colère d'un monde qui ne répondait pas aux attentes populaires. On supputerait des liens de connivence entre cette Nouvelle Vague que je conseille fortement à tous ceux qui me lisent de s'y jeter et le Cinema Novo.


Au sein de toute cette houle , Glauber Rocha déverse sur le spectateur son verbiage caractéristique entre métaphores philosophiques, poésie désenchantée et questionnements personnels. De quoi consolider sa difficulté d'accès aux non initiés qui risqueraient fort bien de trouver la séance imbuvable ou passablement ennuyeuse. On ne leur en voudra pas mais ce ne fut pas mon cas tant j'ai été bercé par un récit où Rocha s'est complètement lâché dans sa mise en scène moderniste frôlant la perfection entre jump cuts, caméra à l'épaule, arrêts sur images et autres procédés typiques d'une Nouvelle Vague française cette fois-ci. Pour les laudateurs du noir et blanc, vous risquerez fort bien de saliver plus d'une fois devant. Nul doute que l'exceptionnel "Mémoires du sous-développement" de Tomás Guttiérez Alea a dû grandement s'en inspirer (et pas que pour l'image).


Cette microscopique critique ne pourrait représenter toute la profondeur de "Terre en transe" tant il y aurait encore à dire. Rocha nous sort un véritable bijou instructif qui pourrait être montré, peut-être pas dans l'enseignement secondaire (le sadisme a ses limites), mais dans les études sup de sciences po. Austère à plus d'un titre, un peu trop exigeant, le film ne fait pas dans la dentelle et n'a pas pour objectif de plaire à tout le monde. Si certains le tanceront, et c'est on ne peut plus compréhensible, d'autres seront totalement conquis par cette démonstration artistique qui sublime la beauté du cinéma. Vivant, puissant et dur. Tel est l'Eldorado de tous ces parvenus.


MisterLynch
9
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le 28 févr. 2023

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