Est-ce que l'on apprécie un film à l'aune de ce qu'il est, au moment du visionnage, ou à la lueur de ce qu'il devient, avec le temps et les divagations intérieures plus ou moins conscientes ? Les deux, dans une certaine mesure, évidemment. Mais se reposer plutôt sur la première approche, est-ce que ce serait fatalement se limiter à un plaisir brut, sans conséquence, sans portée autre que la consommation à un instant donné ? Et construire son avis uniquement sur la seconde, au cours d'une démarche de distanciation et de rationalisation, cela ne constituerait pas une sorte de rupture insincère avec l'honnêteté instantanée, en construisant un jugement basé de plus en plus sur des impressions distantes et de moins en moins sur le ressenti propre ?
Ces questions reviennent souvent dans ma perception de la cinéphilie (je suppose qu'elles sont relativement courantes), et elles vont souvent au-delà d'une thématique connexe, simple en apparence, de la concordance entre la forme et le fond d'une œuvre, quand les motivations esthétiques relancent les inspirations intellectuelles dans un cercle vertueux.


Je ne saurais dire précisément pourquoi Tharlo a cristallisé ce questionnement antédiluvien, mais quoi qu'il en soit, on peut dire qu'il appartient à la deuxième catégorie de films, ceux qui proposent une trajectoire post-visionnage intéressante sans pour autant contenir cet intérêt de manière intrinsèque. À condition, toutefois, de mettre de côté le travail titanesque de la photographie : le soin du cadre, le jeu avec la profondeur de champ, et la beauté soudaine des paysages sont autant d'éléments profondément marquants.


Tharlo est parfaitement clair dans son récit comme dans sa parabole.
On suit dans un premier temps les pérégrinations urbaines d'un berger tibétain, vivant reclus dans ses montagnes et contraint d'affronter la bureaucratie citadine à l'occasion d'une nouvelle circulaire administrative sur la règlementation des cartes d'identité. Le ton est plutôt décalé, on ne comprend pas le fond de l'histoire à la première scène, il y a un côté presque involontairement comique dans la présentation du personnage, mais après tout, il s'agit d'un film tibétain : le genre est suffisamment rare pour accepter tacitement ce type de singularités.
En toile de fond se dessine peu à peu un conflit larvé entre Chine et Tibet, entre ville et campagne, entre tradition et modernité.


D'entrée de jeu, le ton est pourtant donné à travers le protagoniste éponyme à qui des policiers font réciter des pans entiers du Petit Livre rouge, comme une bête de foire à qui on demanderait de faire un numéro. Avec ses saillies satiriques sur le contenu des textes pas toujours bien compris, Tharlo glisse très vite dans la critique politique mais sait se faire relativement discret pour décrire cet état de soumission au pouvoir chinois via la récitation du discours maoïste. On en vient même à se demander si les problèmes de prise de son, en dépit d'une photographie parfaitement maîtrisée, ne sont pas volontaires. D'un côté des plans très travaillés, au noir et blanc épuré, en longue focale pour capter des visages dans la rue depuis l'intérieur des boutiques en ville ou au contraire en plan large pour magnifier les montagnes tibétaines (d'une beauté à couper le souffle), et de l'autre une succession d'approximations avec des micros trop loin ou trop près, des bruits de frottements, etc. Sans doute s'agit-il d'une volonté d'ancrer ce décalage dans une allégorie constitutive du Tibet contemporain.


Mais l'histoire est au final extrêmement simple, concentrée en deux allers-retours entre son refuge de haute montagne au milieu des moutons et sa rencontre avec une coiffeuse en ville qui engendra quelques péripéties. Ce récit très basique dans ses éléments purement narratifs pousse naturellement à ce concentrer sur la mise en scène, magnifique au demeurant, mais condamnant le film à l'exercice de style voire à l'anecdotique. Les séquences en montagnes sont pourtant autant hypnotiques que celle, hautement symbolique (et ce qui suivra sera clairement trop explicite), où Tharlo se fait couper sa natte. La rupture entre les deux univers est consommée, la naïveté du protagoniste sera sévèrement punie.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Tharlo-le-berger-tibetain-de-Pema-Tseden-2016

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le 9 mars 2018

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