Pema Tseden, réalisateur emblématique du tout jeune cinéma tibétain s’est inspiré d’une de ses propres nouvelles pour écrire Tharlo : l’histoire d’un berger un peu sauvage qui se rend pour la première fois en ville. L’occasion pour le réalisateur de montrer un Tibet différent des représentations habituelles et d’affirmer une écriture cinématographique très personnelle. Un film remarqué en 2015 à la Mostra de Venise, que les éditions Arcadès sortent en DVD, conjointement à Jinpa, signé également du metteur en scène tibétain.
Un mouton à la ville
Le film s’ouvre sur un long plan fixe dans un commissariat d’une petite ville. On y découvre Tharlo récitant l’intégralité d’un discours de Mao appris quand il était jeune. « A l’école, explique-t-il au brigadier ébahi, on avait remarqué que j’avais une excellente mémoire. L’instit avait dit qu’avec ça je ferais un bon berger ». De fait, Tharlo connaît par cœur le nombre de ses moutons et leurs caractéristiques. Il faut dire que c’est l’essentiel de sa vie, lui qui n’est jamais descendu en ville avant qu’on ne lui demande une carte d’identité. Confronté pour la première fois à ce qui s’apparente à des épreuves – se faire couper les cheveux, poser pour une photo d’identité, parler avec une femme -, Tharlo n’a qu’une hâte, retrouver sa montagne et ses moutons. Sauf qu’il rencontre Yangtso, une jeune femme « moderne » qui l’invite à une sortie karaoké…
Une mise en scène ascétique
Pema Tseden prend ostensiblement son temps pour poser les enjeux de son histoire. Particulièrement dans la première partie où il semble important pour le réalisateur de montrer à quel point Tharlo est éloigné du monde urbain. Du point de vue de la photographie, le résultat est superbe avec ce noir et blanc rugueux qui colle aussi bien à la grisaille de la ville qu’à l’austérité des montagnes. La deuxième partie, quasi documentaire, replace le berger de retour de la ville, dans son univers habituel. Le pastoralisme avec ses moments de plénitude et son âpreté. Le contraste entre la ville et la montagne est remarquablement bien rendu par un travail sur la bande-son. D’un côté les rues saturées de bruits, de l’autre les silences des pâturages ; ici karaokés et rap tibétain, là, une vieille radio fatiguée dans l’antre du berger.
Un regard pessimiste
Pema Tseden dessine en creux le tableau d’un Tibet sous tutelle. De fait, entre la Chine et le Tibet les différences sont structurelles, ce que le réalisateur s’attache à montrer avec subtilité. Ainsi, la langue locale, celle de la région de l’Amdo, s’oppose-t-elle au chinois de l’administration. Une normalisation à laquelle le berger oppose une forme de résistance pacifique. Il arbore au début du film une chevelure toute en mèches rebelles. « Mon prénom, dit-il à un moment donné, signifie « Petite-Natte » en tibétain ». Lorsqu’il se laisse raser la tête, Tharlo renonce symboliquement à son identité. Une perte sans nul doute plus grave que celle de sa maigre fortune ou de son histoire d’amour en trompe-l’œil. Tondu comme un mouton, le berger de l’Amdo n’est plus que l’ombre de lui-même.
Une conclusion très noire pour un film tout en nuances.
7.5/10
Critique publiée sur le Mag du Ciné