Jang Sun-woo est un réalisateur resté relativement obscur à l'extérieur de son pays natal, dont la filmographie se partage entre drames engagés et oeuvres expérimentales. The Age of Success est peut-être son film le plus accessible, plus léger que le pesant A Petal et moins barré que Bad Movie ou Resurrection of the Little Match Girl. Ce n'est ni plus ni moins qu'une dénonciation au vitriol du capitalisme néolibéral qui se développe dans la Corée des années 80 (alors que Tatcher et Reagan règnent à l'autre bout du monde occidental) et en particulier de l'univers corporate des Chaebols, ces gigantesques conglomérats industriels. Dès les premières minutes, le protagoniste, grand requin parmi les requins, salue un billet de 10 000 wons. On sent que l'auteur se plaît à caricaturer ce monde de la grande entreprise trop rigide et quasiment fasciste, un monde à l'opposé de son cinéma qui brise les codes: musique et vocabulaire militariste, hiérarchie autoritaire, employés humiliés et réifiés, corruption manifeste, fétichisme de la marchandise, publicité omniprésente, hystérie des consommateurs... On retrouve d'ailleurs l'inventivité de Sun-Woo dans la réalisation de clips publicitaires parodiques toujours plus absurde. Le ton est plus souvent celui de la satire que du drame à proprement parler, mais le potentiel tragique se révèle à mesure que l'intrigue se déploie. Assez classique, le réalisateur met en scène une ascension fulgurante suivie d'une chute tout aussi fulgurante. Une descente qui mène son héros dans les abysses de la folie, brisé par un système dont il a espéré toute sa vie pouvoir faire partie. L'intrigue peut donc se résumer dans sa phrase d'accroche cynique: "Seul le succès peut vous libérer - ou non".