_Sidney Lumet
Dans une autre vie, Hou Hsiao-hsien a réalisé un court-métrage qui s’intitulait La Grande Poupée du Fils. Un petit moment de cinéma sans prétention, où la caméra prenait un plaisir manifeste à suivre le personnage principal, un clown tristounet qui n'avait dans la vie que sa famille.
C'était dans une autre vie, la force du cinéma du Hou Hsiao-hsien d'alors résidait dans sa parfaite compréhension de la puissance évocatrice du cinéma.
Résumer un personnage à son visage...
Faire rimer la musique instrumentale et la musique de la voix humaine...
Rappeler, par un mouvement, le mouvement.
Je m'excuse d'avance si je passe pour un rustre en disant que je ne considère pas que voir des gens assis soit, pour moi, une grande expérience de cinéma. Or, ce qui domine dans The assassin (note : j'espère que vous avez relevé comme moi l’aberration à ce qu'un film Taïwano-Hongkongais soit diffusé chez nous sous un titre anglais), c'est l'immobilité. Durant la première partie, dans le palais, la narration - c'est à dire l'action - est exclusivement orale. On pourrait comprendre l'histoire rien qu'en lisant les sous-titres et, pour tout dire, j'ai eu par moment l'impression d'être devant un genre de roman illustré.
Logiquement, les scènes les plus agréables à l’œil sont celles qui réintroduisent le mouvement, vécues par le spectateur comme un bol d'air frais salvateur. Curieusement, parmi celles-ci, celles qui me restent à l'esprit sont totalement déconnectées du récit, comme si c'était la spontanéité qui, seule, avait en elle l'énergie nécessaire pour briser l'inertie dominant le film : ce père qui fait semblant de se battre avec son fils, ces gosses qui jouent au ballon, le bal et, bien sûr, la scène de clôture.
Alors, certes - donnons son os à la plèbaille qui s'extasie devant ce qu'elle imagine être le chef-d’œuvre de l'année - ladite illustration est magnifique. En un mot : la photographie est superbe et, comme dans les mauvais Visconti (Senso, l'Innocent), le spectateur ne s'ennuie pas vraiment car l'attention qui n'est pas accordée à l'histoire se détourne vers les soieries ou les coiffures des personnages.
Il n’empêche qu'un tel demi-succès revient à lâcher la proie pour l'ombre car, enfin, nul ne va au cinéma avec en tête l'idée de voir décors et paysages mais bien celles de rencontrer des émotions. Les décors du Guépard sont justifiés parce qu'ils sont l'indispensable écrin des réflexions du Prince de Salina. Ceux de l’Innocent ne le sont pas car Giancarlo Giannini ne dégage rien. De même pour l’héroïne de The Assassin, dont on se demande parfois si elle a des pensées, à défaut d'avoir des émotions, tant son visage est lisse - particularité que partagent presqu'en permanence tous les personnages.
Et nous en arrivons au reproche fondamental à faire au film : cette mise en scène clinquante qu'applaudit la presse unanime. Prenons une scène au hasard : celle où l’héroïne, l'"assassin", doit tuer son cousin, le Prince Machin en présence de la femme de celui-ci - accessoirement sa rivale car l'assassin et le cousin ont été fiancés dans leur enfance. Inutile de faire un gros effort pour imaginer la tension qu'une telle scène doit provoquer. Or, non. Hsiao-hsien préfère filmer un rideau de soie où se devine le visage de l’héroïne. Une expérience visuelle superbe, assurément, mais qui ruine toute la tension dramatique. Ceci n'est encore rien car, somme toute, l'image est plaisante et l'émotion que le spectateur n'a pas vue, il a pu l'imaginer. La chose devient problématique lorsque l'utilité narrative d'une scène échappe totalement au spectateur. Tel ce vieux schnock, qui apparait royalement dans trois scènes (dont une de dos), que ces gardes (?) appellent maitre et qui se fait assassiner, sans qu'on sache ni qui il est, ni qui a ordonné son exécution, ni sa fonction exacte. Que garder d'un tel ratage ? Une image ? Une émotion ? Nenni : une amertume, celle du gâchis. Car, enfin, il n'était pas bien compliqué de le situer clairement, ce vieux.
Ce qui nous amène au dernier problème du film, relativement moins grave : la mauvaise narration. Une bonne narration est, par définition une narration qui permet au public de comprendre l'histoire racontée. Lorsque la quasi totalité du public sort de la séance en avouant n'avoir pas tout compris, il y a un grave problème. Pour moi c'était le vieux, pour d'autres c'était la femme aux masques ; en tout cas, personne n'a tout compris. Or, l'histoire est relativement basique. Nous sommes en plein syndrome Inception : une histoire simple, impliquant un nombre relativement restreint d'éléments, usant d'une recette familière qui pourtant échoue à sa faire comprendre. Si je devais spéculer sur la cause de cet échec, je dirais que, dans les deux cas, elle tient à son caractère exclusivement oral (écrit, pour nous autres, pauvres occidentaux accrocs aux sous-titres), caractère qui force le spectateur à une gymnastique auquel il n'est pas habitué : suivre le fil sans se laisser déconcentrer par les images.