Fier d’être devenu plus rare qu’un Stanley Kubrick (The Assassin est seulement son troisième long-métrage en dix ans), Hou Hsiao-Hsien est un auteur qui a su se cultiver une aura certaine auprès de la critique, notamment pour ses qualités d’esthète et les thématiques intimistes qui ont rythmé son œuvre. Le voir donner, à soixante ans passés, sa propre vision du wu xia pian, en se débarrassant des codes parfois clivant du genre, était donc un projet aussi intriguant qu’excitant. The Assassin, un peu à la manière d’un Wong Kar-wai sur The Grandmaster, c’est le pinacle du peintre auquel on aura donné tous les pinceaux.
Naviguant entre la poésie d’un noir-et-blanc étincelant et la beauté saisissante de cette approche inégalable de la couleur, Hou Hsiao-Hsien ne trahit par sa réputation d’esthète d’exception. Merveille visuelle de chaque seconde, The Assassin capture l’essence même de ce que l’image-mouvement a de plus fondamentalement beau à offrir. Chaque plan est un nouveau tableau à la construction millimétrée, où la parfaite recette de fines touches de crayon et de vifs élans créatifs transforme chacun des cadres en une découverte saisissante de sensations inconnues. Avant de se comprendre, The Assassin est un film qui se ressent ; comme une expérience sensorielle pure et désintéressée, au-delà de toute description sagace.
Derrière ce vêtement, The Assassin n’est cependant pas un film à conseiller à tout le monde. Hermétique, comme beaucoup des précédentes réalisations de Hou, mais aussi fondé sur les sous-entendus et les non-dits, il ne tend clairement pas la main au spectateur : derrière la simplicité apparente de son intrigue – un dilemme – The Assassin est un film complexe, parfois incompréhensible, possédant un rapport au temps qui, selon les points de vue, sera hypnotique ou ennuyant à mourir. Alors qu’il sera un émerveillement infini pour une partie de son public, le reste de la salle sera laissé sur le carreau – The Assassin est un film qu’il peut être nécessaire de combattre. Une perfection plastique et technique, une leçon de mise en scène de plus d’une heure trente, d’une subtilité et d’un charme aimant, réfléchissant intelligemment sur la question du devoir et de l’éducation, mais dont la pudeur narrative et la passion du silence pourra torturer les esprits les moins sensibles.
Comme les plus grandes peintures, il faut se plonger dans The Assassin pour en apprécier totalement la beauté profonde, la grâce brute et envoûtante. Hou Hsiao-Hsien livre son monument, exécution brillante de l’un des derniers grands maîtres du cinéma asiatique du XXème siècle. Rares sont les chefs d’œuvres de ce calibre, rares sont les films qui renouent de manière aussi physique avec la graphie originelle du cinéma. Magistral.