Du jour au lendemain, sans prévenir qui que ce soit, la branche colombienne de l'entreprise américaine Belko offre un congé à tous ses employés colombiens et enferme les autres dans l'immeuble pour les forcer à s'entretuer. Sur le principe ça va plus loin que les dérapages sanglants de Severance, c'est l'expérience de Milgram mais en version Hardcore, Le point de départ est évidemment saugrenue. S'y arrêter pour descendre The Belko Experiment et ne pas accepter de plonger dans l'évidente fable sur le monde de l'entreprise c'est déjà passer complètement à côté du film. C'est sans doute aussi, et de façon plus générale, passer à côté du pouvoir d'évocation du Cinéma, mais c'est un point sur lequel nous reviendrons.
Ce n'est ni plus ni moins que Battle Royale dans une entreprise, on retrouve même les explosifs déclenchés à distance pour forcer les plus réticents à participer au massacre. L'idée de base est excellente car le microcosme aliénant des grandes boites, où on fréquente tout un tas de gens qu'on n'aime pas par nécessité dans une ambiance artificielle qui oblige les employés à faire semblant de tous s'apprécier, semble le décorum de rêve pour accueillir un tel concept. C'est comme le négatif des séminaires corporate, une perspective forcément alléchante. L'idée est d'autant meilleure que certains rouages du scénario font écho à des penchants pervers de plus en plus concrets des grands entreprises, comme cette puce sous-cutanée obligatoire "pour la sécurité des employés" qui va finalement se retourner contre eux; devenant la version moderne, et invisible, de la chaîne retenant l'esclave contre son gré.
Le développement de The Belko Experiment manque clairement de finesse, les salauds ont des gueules de salauds et ils sont cadres supérieurs, les gentils ont des gueules de gentils. Mais la mécanique fonctionne plutôt pas mal parce que le personnage central, Mike Milch, est un vrai gentil et qu'il pense plus ou moins à tous les trucs pour contourner les règles du "jeu" auquel on pourrait penser sous la contrainte de la mort et du temps. Le récit n'a donc pas pour moteur principal la bêtise des personnages mais utilise les différents ressorts d'appartenance et de perception "des autres" qui régissent les sociétés hiérarchisées. Certaines séquences fonctionnent même très bien comme celle du lobby où les salauds essayent de se voiler la face en rationalisant de façon absurde leur égoïsme. Prétendant agir pour le bien de tous, ils choisissent qui doit mourir selon des critères précis.... avant de devoir choisir les victimes uniquement à la gueule du client. Tout ceci ne tarde évidemment pas à partir méchamment en vrille. Le déluge de sang et de violence est frontal, après tout il s'agit là de la marque de fabrique de Greg McLean. Une brutalité qui flirte parfois avec la complaisance au détour de certaines mise à mort un peu trop théâtrales.
Pas finaud donc mais pas dénué d'intérêt ni de pertinence : la violence du monde du travail change les individus qui deviennent à leur tour des monstres, etc... mais... le film se vautre complètement dans sa conclusion. Le scénario signé James Gunn ne se prend pas un, mais carrément les deux pieds dans le tapis. Un fracassant gadin qui va tuer définitivement dans l'oeuf tout ce que The Belko Experiment pouvait devenir.
La première erreur de cette conclusion, et elle symptomatique de tout un pan du cinéma américain, c'est de vouloir tout expliquer. Pas de place pour la réflexion, le film se conclue par une séance de Q&A répondant à toutes les questions du spectateur. C'est tellement littéral que la séquence montre un personnage du film demander au responsable de l'expérience "pourquoi vous faites ça ?" avant d'obtenir un réponse parfaitement claire. Une heure trente pour qu'on subisse à l'arrivée un mec à l'allure de nazi nous dire "c'est une expérience sociologique sur le comportement humain".
Soit globalement ce que le spectateur avait déjà compris rien qu'en voyant l'affiche. Si c'est pour en rester à de telles évidences autant assumer à fond le côté purement métaphorique du film et laisser une fin plus vague et/ou plus symbolique.
The Belko Experiment oublie donc lui aussi le pouvoir d'évocation du Cinéma et jette aux orties la fable, l'allégorie, le jeu de miroirs déformants pour s'ancrer de façon complètement absurde dans une certaine exigence de réel. Probablement la dernière chose à faire avec un film avec un tel postulat de départ.
La seconde erreur est peut-être plus dévastatrice encore. Dans un élan de facilité et, disons-le, de connerie le film se termine sur l'image de Mike Milch, fusil d'assaut encore fumant à la main, triomphant par le sang de ses oppresseurs. Il est seul mais il a gagné et, encore plus important, il a vengé ses amis. Le scénario ne cherche même pas l'ambiguïté avec cette fin. Il n'essaye pas de nous montrer que l'évolution de Milch l'entraîne vers un degré supérieur de terreur, comme pouvait le faire la magnifique conclusion du Rollerball de Jewison ou celle des Chiens de paille de Peckinpah, où il serait devenu une menace, fruit du système malsain décrit tout le long du film, encore plus effroyable que ce qu'on a vu jusque là. Non, on nous le montre soulagé, chacun de ses actes de violence est nécessaire, il ne tue que les salauds, il rend la justice façon Charles Bronson. C'est un héros et il parvient à ce statut en suivant les règles et en acceptant la violence. Le système aussi impitoyable soit-il est, au bout du compte, juste et source de satisfaction. Une conclusion cathartique complètement débile qui valide tout les mécanismes que le film s'échine pourtant à démonter. En effet, le produit final du système n'est autre que la justice, les plus méritants sont récompensés et les méchants sont punis. Par ricochet ça justifie tous les sacrifices.
Ce plongeon final dans la bêtise crasse aurait pourtant facilement pu être évité, le dernier acte met en place différents éléments pouvant amené à des fins beaucoup plus malines ou, en tout cas, assurément moins nauséabondes. On aurait même pu envisager un sacrifice final romantique à base de suicide au sein du couple Mike/Léandra par exemple. Mais on aurait pu surtout utiliser le personnage de Léandra, qui est en effet mortellement blessée; pour tuer le dernier vilain (surtout que ça aurait été cohérent avec son arc narratif) avant de la voir mourir de ses blessures; laissant ainsi Mike Milch dernier survivant de l'expérience avec... zéro mort à son actif.
Il y avait dans cette possibilité, cohérente à la fois avec les rebondissements du dernier acte et avec l'arc narratif de Mike Milch, un niveau d'ironie bien plus puissant que ce que le scénario nous propose finalement. Cette fin aurait jeté alors un tout autre regard sur les événements et le bien fondé de cette cruelle expérience. Malheureusement The Belko Experiement tombe dans le piège de sa propre bêtise. Un piège qu'avait su évité un autre modèle du film de Greg McLean, le sympathique La cabane dans les bois qui explorait avec une certaine intelligence la relation entre la violence à l'écran et le plaisir pervers des spectateurs. Un bon gros ratage dans les règles de l'art.