Deux attitudes sont envisageables lorsqu'on regarde The Contestant, avec deux sentiments prédominants : le rire, devant l'ampleur parfaitement improbable des événements subis avec le sourire par Tomoaki Hamatsu (mieux connu sous son surnom "Nasubi", aubergine en japonais, un petit sobriquet qui aura toute son importance), et le dégoût, étant donnée l'étendue des mauvais traitements qui lui ont été réservés par une société de divertissement pendant plus d'un an et diffusé à grande échelle.
Le Japon n'est pas à la traîne au niveau international en matière de créativité dérangée et d'inventivité chtarbée, il n'y a plus grand-chose à prouver en soi. Mais quand même. Là, difficile de ne pas se dire "ah oui quand même, ils l'ont fait, ils ont osé". Un producteur de téléréalité légèrement opportuniste a réussi à enfermer (avec son assentiment complet bien entendu) un homme pendant 15 mois dans un minuscule appartement de 10 mètres carrés. Nu. Sans contact avec l'extérieur. Avec seulement de l'eau, un chauffage, des enveloppes et des stylos. Contraint de répondre à des jeux-concours dans des magazines, en mode stakhanoviste, afin de remporter les prix qui lui permettront de manger, de s'habiller (pas toujours), de rendre son isolement moins brutal (une peluche, ça peut toujours aider), ou autre (petite pensée pour le lot de 4 pneus).
Une de ces failles du continuum historique, dans laquelle l'incongru le plus total s'immisce au beau milieu de la réalité pour créer des éléments documentaires qu'on aurait jugés totalement invraisemblables dans le cadre de n'importe quelle fiction hollywoodienne.
Ainsi, Nasubi a passé plus d'un an enfermé entre quatre murs et plongé dans le mensonge : on lui a fait croire qu'on le filmait pour une éventuelle rediffusion, dans le cas où une chaîne daignerait s'intéresser à un tel contenu, alors que des millions de téléspectateurs japonais suivaient ses déboires chaque semaine à la fin des années 1990. Une star nationale qui s'ignore. L'origine de l’émoji "aubergine" (dans sa connotation génitale) y est très vraisemblablement liée, puisque les producteurs ont utilisé un tel dessin pour dissimuler son pénis sur les images diffusées à la télévision — son visage particulier, très allongé, à la Fernandel, est à l'origine du choix du légume. Plus de 400 jours nu dans une pièce à remplir des formulaires, 400 jours à se réjouir de recevoir 5 kilos de riz (sans casserole pour le faire chauffer dans les premiers temps) par-ci et 10 paquets de nourriture pour chien par-là, 400 jours à attendre d'atteindre le seuil des un million de yens (6000 euros) pour mettre un terme au supplice. Avec en prime à la fin de cette première épreuve un faux espoir de sortie, un léger sadisme de la part de la production, et une sorte de reset du jeu avec modification des objectifs sans qu'il le sache. L'émission a même dû modifier son lieu de résidence (en bandant les yeux de Nasubi lors de son exfiltration) après que des fans ont trouvé l'emplacement de l'appartement en question.
L'histoire est complètement délirante, et The Contestant laisse énormément de zones d'ombre ou de territoires socio-psychologiques inexplorés. On a la sensation que cette éternité d'enfermement se résume à des grimaces devant la caméra et une pilosité en croissance, en exagérant un peu. Avec un final sur l'Everest en 2016 un peu étrange, comme artificiel, ou du moins précipité. Mais dès qu'on prend un peu de recul, dès lors qu'on réalise le caractère véridique de ce "Truman Show pour de vrai", la cruauté abjecte de l'entreprise et de la pression exercée sur cet homme (alors qu'il ne semble pas prendre tout ça au sérieux initialement, ce qui est sans doute le plus fou puisque sa lucidité n'a pas pu évoluer positivement, dans un tel état, logique des coûts irrécupérables oblige) ne peut que provoquer un violent dégoût. Une poule aux œufs d'or de la téléréalité, avec pour épiphanie finale une livraison sur le plateau de l'émission devant des milliers de personnes, à poil, après avoir passé 15 mois dans la solitude la plus totale.
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