Ce film est un petit bijou en matière de tension, un vrai exercice de style qui saisit le spectateur du début à la fin. Etonnamment, l'aspect le plus choquant de ce film n'est pas tant son sujet, mais la façon dont le réalisateur parvient à transformer une histoire à priori classique, en un film aussi atypique simplement par l'inventivité de sa mise en scène.
Pour parler un peu du synopsis, El cadáver de Anna Fritz (aka The Corpse of Anna Fritz) suit Pau, un jeune interne travaillant dans une morgue qui apprend que le corps d'une starlette récemment décédée nommé Anna Fritz est arrivé sur son lieu de travail. Ne pouvant résister à l'envie de photographier le cadavre de cette célébrité, il envoie l'image à deux de ses amis, Ivan et Javi, les trois se rassemblent à la morgue pendant son tour de garde la nuit, ne voulant pas laisser passer leur chance de pouvoir être aussi "proches" d'une célébrité. Cependant, avec l'avancée progressive de leur état d'ébriété, leurs actes vont rapidement basculer dans la dépravation, et bientôt, ils se rendent compte que la situation n'est pas tout à fait ce qu'elle paraît...
Film découpé en trois parties bien distinctes, tantôt thriller psychologique, tantôt survival horror, puis drame intense, l'un des aspects les plus intéressants que le film a pour lui est clairement son écriture, inventive et refusant toute forme de fainéantise. Si certains pourront probablement être en mesure de prédire certains des aspects du scénario, la réalisation organique insufflée au film en fait clairement un objet vivant et surprenant par bien des aspects, ce film possède réelement une pulsation, un souffle qu'on ressent du début à la fin. Et aussi tordu que puisse être le sujet de base, le film n'est pas tout à fait aussi répugnant que ce que l'on pourrait penser; Hèctor Hernández Vicens et son co-scénariste Isaac P. Craus ont eu la bonne idée d'amener l'histoire dans une direction beaucoup plus intense, on est clairement devant un vrai travail d'artisan, qui nous offre un conte moral parlant d'une situation vraiment immorale.
Cependant, ce film n'est à proprement parler "effrayant", on ne se trouve clairement pas devant de l'horreur pure, le réalisateur a plutôt privilégié le suspense et la tension, qui sont tous deux presque palpables, et ce de plus en plus au fil des minutes, tandis que l'histoire dégénère et explose dans la violence. Heureusement, on évite de tomber dans un banal film à surenchère bête et méchant, grâce à une narration intelligente ainsi qu'une direction solide appuyée par une formidable équipe technique, à commencer par la photographie de Ricard Canyellas, qui plonge le film dans une sorte de lueur fluorescente totalement en raccord avec le propos halluciné du film, et des teintes de gris-bleu soulignant l'atmosphère froide et morbide de la morgue. A noter également la composition génialement oppressante de Tolo Prats, qui induit une crainte insidieuse au spectateur du début à la fin, le montage millimétré d'Alberto Bernad et les effets visuels exceptionnellement subtils de Javier Peirot.
Et comme un bon film ne serait pas possible sans de bons acteurs, impossible de passer outre le casting, assez limité sur le papier, avec quasiment que des inconnus au bataillon, qui fournissent pourtant tous une excellente prestation, ce qui dénote une direction d'acteur de haut niveau. Albert Carbo est vraiment excellent dans le rôle de Pau, offrant un pathos crédible, on ressent clairement la culpabilité et la terreur qui suinte à travers son personnage, à mesure que la situation va de mal en pis. Alba Ribas est pure et simplement brillante dans le rôle de Anna Fritz, jouer le rôle d'une morte n'est jamais facile, et c'est à prendre en compte. Dans les rôles secondaires, Bernat Saumell et Cristian Valencia parviennent presque à voler la vedette au duo d'acteurs principaux, avec des prestations de haut vol, chacun dans un registre différent, mais je n'en dirai pas plus de peur de trop en révéler sur l'intrigue.
Pour résumer, on tient dans l'ensemble un bon thriller horrifique qui subvertit les attentes d'une manière remarquablement organique et atypique. Un film intelligent, plein de suspense et glauque qui déroule pendant une bonne heure son intrigue d'une manière sensationnelle avant de sauter la tête la première dans une dernière partie encore plus démente. Loin d'être une simple réflexion sur notre rapport à l'image, un film sur lequel il y a matière à réfléchir, abordant de nombreux sujets de manière assez abstraite, mais toujours subtile.
Perfecto.