The Creator
6.4
The Creator

Film de Gareth Edwards (2023)

The Creator est la dernière sortie très attendue de Gareth Edward. Celui-ci avait déjà beaucoup surpris en réalisant un excellent spin-off de Star Wars, Rogue One, qui proposait alors un divertissement particulièrement habile, à l’heure où la franchise tournait déjà en rond. L’auteur revient ici avec un film d’action et de science-fiction abordant la thématique de l’IA. L’œuvre se voulant, si l’on en croit les trailers et les mots du réalisateur, divertissante et spectaculaire mais aussi profonde et réflexive. Il faut dire que la thématique de l’IA s’y prête : Où s’arrête la frontière de l’humanité ? Où commence celle de la machine qui pense ? C'est un questionnement classique du genre, l’auteur ne cache d’ailleurs pas ses inspirations qu’on peut déceler çà et là dans le film, d’Akira à Blade Runner. Alors qu’en est-il ? Évidement, avis subjectif bla bla bla vous connaissez.


Quelques défauts récurrents des grosses productions hollywoodiennes


Si l’ambition du projet est grande, l’œuvre ne passe pas à coté de défauts récurrents des blockbusters. La première moitié du film présente de très gros problèmes de rythme qui en viennent à desservir la narration. On a la sensation de regarder une version réduite d’un film plus long (ce qui est sûrement le cas). Les scènes s’enchaînent très rapidement, et l'on a parfois à peine le temps de comprendre une scène qu’on est déjà passé à la suivante. Ce rythme plus que soutenu s’opère comme souvent au détriment des scènes d’exposition et de développement des personnages. C’est dommage dans une œuvre qui souhaite aborder des thèmes profonds et explorer un univers riche. Même l’exposition de la relation entre le héros et la jeune enfant, est esquissée très rapidement au détour de quelques scènes minutés, surmontés, qu’on pourrait rater en clignant des yeux trop longtemps. De ce fait, j’avoue avoir eu beaucoup de mal à m’attacher au personnage principal.


La première partie du film révèle aussi quelques défauts d’écriture. Je pense notamment au personnage de la colonelle et de son second, qu’on voit très clairement mourir au début du film mais qui réapparaissent 5 minutes plus tard. Certes, c’est un ressort de cinéma classique, le personnage qui survit hors champs à une situation extrême, convenu mais efficace. Cependant, c’est ici particulièrement perturbant puisque qu’on a littéralement vu les deux personnages exploser en plein vol alors qu’un explosif s’était accroché sur l’un d’eux. C’est tellement gros que je me suis demandé s’il s’agissait du même personnage. J’ai même fini par penser qu’il s’agissait d’une IA ayant pris apparence humaine pour infiltrer l’ennemie… Ce n’est pas le cas, il s’agit juste d’une énorme facilité scénaristique. En découle alors une première moitié de film particulièrement indigeste, et même un peu frustrante puisqu’on se sent presque essoufflé, peinant à suivre l’action, et frustré de ne pouvoir s’attarder plus longtemps sur des décors, des personnages, un univers qui semblent si riche.


D’excellentes idées de science-fiction et une direction artistique irréprochable


Si la première partie du film est assez bancale, la seconde moitié est cependant beaucoup plus agréable à regarder. La narration prend enfin le temps d’exposer (un peu) les relations entre les personnages, exposer l’univers en fond et notamment la manière dont les populations vivent avec les IA. La partie se déroulant dans un village montagneux tibétain est notamment très intéressante de ce point de vue-là. L’enchaînement des actions est beaucoup plus fluide et le contexte est un peu développé. On prend enfin le temps d’en apprendre plus sur cet univers riche et profond, et c’est tant mieux puisque c’est l’une des grandes qualités de ce film.


L’œuvre présente d’excellentes idées et concepts. Je ne peux évidemment tous les citer, mais j’égrainerai ici quelques exemples. Les occidentaux ont totalement banni les IA de leurs sociétés, celles-ci ne vivent plus que dans certains pays du tiers-monde. Les États-Unis utilisent ce prétexte de menace IA pour intervenir militairement dans d’autres pays. C’est une excellente allégorie de l’impérialisme, le film réutilise d’ailleurs habilement l’imagerie de la guerre du Viêt-Nam en plaçant son intrigue en Asie du Sud-Est. Autre détail incisif. Les seules IA utilisées par les occidentaux sont des robots qui courent se faire exploser derrière les lignes ennemies, après avoir pris soin de remercier leurs maîtres bien sûr... Quand il s’agit de massacrer des paysans Vietnamiens, on peut fermer les yeux sur ses convictions. C’est très intelligent, et le film fourmille de trouvailles de ce genre. Enfin, une qualité évidente que tout le monde a déjà pu noter avant même la sortie en salle, l’œuvre est esthétiquement très réussie et la direction artistique est particulièrement inspirée.


Un film qui ne fait qu’effleurer timidement son sujet


Tous ces détails sur l’univers du film sont appréciables puisque c’est semble-t-il la proposition initiale de l’œuvre. Offrir une réflexion sur la frontière floue qui sépare l’humain de l’intelligence artificielle. Cependant, cette réflexion n’est jamais vraiment développée et reste au stade de toile de fond de l’histoire. Et c’est là ma grosse déception sur ce film. Le propos philosophique reste cantonné à l’arrière-plan, quand il n’est pas tout simplement énoncé directement à l’écran de manière très peu subtile. Le film est parsemé de petites répliques énoncées au détour d’une conversation, du genre « bah dis donc qui-c’est-ti le plus humain dans tout ça ? » Je caricature bien sûr mais vous avez l’idée. Il aurait été plus habile que ce discours passe par le ressenti plutôt que par de simples dialogues.


The Creator aurait tellement gagné à aller plus loin dans sa réflexion sur la frontière floue entre humain et IA, émotion et simulation. Un détail illustre pour moi cette déception. Outre les « simulants », des androïdes avec un visage humain, certains autres robots présentent un design beaucoup plus intéressant, qui m’avait déjà particulièrement intrigué dans le trailer. Bien qu’anthropomorphes ils présentent une tête robotique type « boite de conserve », sans visage, amoncèlement informe de circuits et de rouages sans humanité. En arrière-plan, on les voit pourtant avoir des interactions amicales, s’occuper d’enfants, prier dans des monastères, ce qui contraste beaucoup avec leur apparence déshumanisée, froide et mécanique. Cela offre un décalage très étrange, presque dérangeant, mais passionnant. Des bonzes mécaniques priant avec des humains. Étrange. Ont-ils des croyances ? Des rêves ? Des peurs ? Au détour d’une violente bataille on aperçoit un guérillero de métal se sacrifier pour sauver des enfants humains, intéressant... Jusqu’au moment où l’on comprend que les seuls personnages d’IA qui seront un tant soit peu développés dans le scénario sont ceux aillant un visage humain incrusté numériquement sur la tête. Comme si le spectateur étant trop bête pour comprendre que ces machines ont peut-être aussi une conscience, même si elles n’ont pas le visage de Ken Watanabe. C’est dommage, le film aurait tellement pu pousser jusqu’au bout sa réflexion en confrontant réellement le spectateur à une altérité totale. Faites-moi ressentir de l’empathie pour ces êtres à l’apparence froide et mécanique mais à la gestuelle si étrangement humaine, cela aurait eu tellement plus d’impact et aurait parfaitement concordé avec la note d’intention de l’œuvre. Dans un registre assez similaire, c’était ce qui avait fait la grande force du film District 9. En nous présentant de prime abord une espèce extraterrestre totalement autre, au look de crustacé de l’espace, le réalisateur Neill Blomkamp finissait par questionner notre rapport à la différence en nous faisant ressentir une empathie profonde pour ces êtres extraterrestres, et à l’inverse une aversion grandissante pour les humains.

J’aurais aimé que le film verse dans cette tendance en nous confrontant plus directement à l’altérité que représente l’IA. Le personnage secondaire joué par Ken Watanabe (avec tout le respect que j’ai pour cet acteur) aurait par exemple pu être remplacé par un personnage de ce type. C’est d’autant plus dommage que c’est un élément qui m’avait agréablement surpris dans Rogue One. Le personnage du robot au look très similaire, une sorte de boîte de conserve sans visage, introduit comme un simple personnage secondaire drôle, mais qui prend en consistance au fil de l’aventure, et pour qui on se surprend même à verser une larme à la fin du film. Même pas une petite larmichette pour The Creator

La conclusion parce que c’est déjà trop long


Il faut dire que les attentes étaient grandes. Un trailer à l’esthétique léchée, des designs intrigants, une histoire originale, quelques promesses d’une science-fiction aux questionnements métaphysiques, convoquant Asimov et Dick. Peut-être suis-je entré en salle avec trop d’aspirations en tête.


The Creator est loin d’être mauvais, esthétiquement sublime il présente même la qualité (malheureusement s’en est une maintenant) de ne pas être issu d’une franchise et d’offrir des concepts originaux de science-fiction. Dans une industrie du blockbuster hollywoodien très formatée, c’est bien évidement une qualité, mais cela peut aussi s’avérer être une faiblesse, puisque cela fait gonfler les attentes. C’est peut-être là la source de ma déception pour ce film.


MaitreYupa
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le 26 sept. 2023

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MaitreYupa

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