Difficile d’arriver totalement serein dans la salle lorsque l’on s’apprête à voir cette nouvelle version du célèbre film avec Brandon Lee, œuvre déjà maudite ayant entrainé quelques suites toutes plus mal produites les unes que les autres. Comme si cet univers charriait avec lui de mauvaises ondes empêchant quiconque de se l’approprier de manière pertinente. Serpent de mer aux airs d’arlésienne, ce remake débarque presque par inadvertance, alors que tout le monde s’était presque fait une raison. Et comme souvent dans ce type de cas, où personne ne semble y croire, dès l’apparition de la première bande annonce sur le Net, l’affaire était pliée et annoncée de manière presque complaisante par l’ensemble de la sphère cinéphilique : le résultat allait être calamiteux, l’un de ces navets atomiques surgissant de temps à autre et dont les cinéphiles ont besoin pour crier bien fort sur le dos des films eux-mêmes. Sortant donc dans l’indifférence générale, le résultat se dirige vers un flop en bonne et due forme mais pour ce qui est de l’artistique, qu’en est-il réellement ? Comme souvent dans ce type de cas, la réponse est moins binaire qu’attendue, pour quiconque serait encore capable d’un minimum de recul critique et de sens du discernement.
Cinéaste pas si consensuel que bien d’autres, Rupert Sanders s’était fait remarquer, après une carrière de clippeur, pour la réalisation de Blanche-Neige et le chasseur, projet bidon sur le papier qu’il avait su élever un peu au-dessus de la moyenne par ses visions affirmées en faisant, à défaut d’un visionnaire, un vrai faiseur d’images comme il pouvait y en avoir dans les fameuses 80’s. N’ayant pas explosé par la suite, il était également l’auteur du remake en live action de Ghost in the shell, projet controversé pourtant perclus de visions hypnotiques dans lesquelles il faisait preuve d’une vraie envie de cinéma du cadre composé et stylisé. Là encore, difficile d’y voir un auteur affirmé, mais au moins la confirmation d’un plasticien un minimum doué. Un artisan consciencieux cherchant à affirmer ses velléités d’artiste dans un système peu enclin à laisser s’exprimer ce type d’ambitions. Pour cette nouvelle itération du célèbre corbeau, revenant d’entre les morts pour venger sa bien-aimée, le résultat n’est pas le ratage attendu, espéré même par certains haters, mais bien ce film malade dont l’histoire du cinéma regorge, sorte de monstre bâtard cherchant à chaque instant à imposer ses visions au milieu d’un chaos de production dans lequel bien des cinéastes se seraient définitivement noyés.
Dès les premiers instants, on se rend bien compte que le film ne sera pas le nanar brandi par certains avant même visionnage. Les cadres sont composés avec soin, les images stylées comme il faut, esthétisantes, clippeuses diront certains, mais font montre d’un vrai regard, pas du résidu de notes de production d’exécutifs où l’on ne sait même plus qui a réalisé quoi. L’impression de voir un film abouti se fait de plus en plus jour, là où l’on craignait un montage invertébré sans cohérence. Le récit se déploie, dans toute sa dimension tragique certes pas très finaude, digne des premières réflexions existentielles d’un ado mélancolique. Mais après tout, n’était-ce pas déjà le cas du film de Alex Proyas ? Prototype d’un cinéma 90’s ayant fait effet à l’époque mais vieillissant très mal, ce film est devenu culte par un concours de circonstances, dont la principale raison reste tragique, lorsque la réalité a gravé le nom de son acteur dans l’éternité. Rien de si dramatique pour ce nouveau film, et c’est tant mieux. Mais si l’on fait preuve d’un minimum d’honnêteté, on ne peut nier le soin apporté à l’ensemble par un cinéaste se préoccupant de ses personnages, cherchant à les faire exister du mieux qu’il peut à l’écran, en dépit de l’écriture quelque peu sommaire des caractères. En bref, le film prend son temps, ce qui pourrait être une critique ailleurs mais s’avère ici la meilleure de ses qualités, là où l’on pouvait craindre un produit rafistolé allant un peu trop à l’essentiel au détriment de la moindre émotion.
En recherche constante d’incarnation dans un univers devenu cliché à lui tout seul, cette démarche va trouver sa principale limite dans le choix du couple vedette chargé de donner cette électricité à l’ensemble. L’histoire nous parle de rencontre passionnelle, chimique, lorsque le coup de foudre ne s’explique pas, et que deux êtres se retrouvent à un moment de leur existence, avec cette sensation que les astres se sont alignés pour leur permettre d’exprimer cet amour pur et authentique. Seulement pour nous faire ressentir ça de manière réellement intense et ravageuse, il aurait fallu que l’on croie à l’attirance de ces deux personnes. Là où Bill Skarsgård fait le job sans honte et sans reproches, se tirant tant bien que mal d’un personnage pouvant sombrer dans le ridicule à tout instant, sa partenaire de jeu livre une prestation honnêtement catastrophique, n’ayant clairement pas l’expérience pour assumer un rôle aussi dense et tragique. Apparaissant la plupart du temps la bouche semi ouverte, lui donnant un air bovin, elle ne parvient pas à donner l’épaisseur nécessaire pour que l’on vibre réellement à son destin. Dommage là où les efforts méritoires du réalisateur les filmant méritait plus que ce résultat en demi teinte. Malgré tout, la nature même de l’histoire racontée permet sans trop de mal à nous faire éprouver les quelques émotions qui empêchent le tout de sombrer dans les limbes cinématographiques.
Scénaristiquement bancal, souffrant d’un rythme un peu trop languissant, aéré de quelques scènes d’action très bien shootées, le film passe de visions baroques saisissantes jamais loin de celles d’un Tarsem Singh (notamment dans la manière d’arriver dans l’entre deux mondes, le symbole de l’eau se retrouvant pas mal chez le cinéaste d’origine indienne), à une esthétique plus convenue, notamment pour imager justement cet entre deux mondes qui méritait d’être exploité de manière plus vertigineuse. A la place du vertige, nous avons droit à un décor triste et morne, dans lequel déambulent notre triste corbeau et son guide, campé par un Sami Bouajila qui arrive à rester digne malgré sa présence à priori incongrue sur le papier.
Tout ça nous mène donc, parfois un peu laborieusement mais avec quelques fulgurances, à un climax justifiant à lui seul le prix du ticket. Une longue scène de massacre ultra gore, d’une sauvagerie proprement stupéfiante, dans un style opératique (se déroulant qui plus est dans l’enceinte d’un opéra), et évoquant particulièrement les chambaras, de manière plus qu’assumée, dans des chorégraphiques provoquant une certaines fascination hypnotisée face à ce spectacle de l’ultra violence que l’on ne s’attendait clairement pas à trouver dans un produit à priori aussi calibré. En bref, et pour finir de manière claire et limpide, non, le résultat est loin d’être la catastrophe annoncée vicieusement par certains avant même visionnage, et fait même parfois montre d’une vraie aisance du montage et de la direction artistique, tâchant tant bien que mal de faire exister son environnement et ses personnages. Victimes d’un développement bordélique annihilant ses envies de cinéma évidentes, il n’en reste pas moins un objet imparfait mais exécuté avec sincérité par un cinéaste / artisan que l’on aimerait voir s’exprimer dans des projets plus personnels à l’avenir, ses visions méritant réellement de trouver un écrin pleinement à la hauteur. En attendant cet éventuel projet qui le ferait passer à l’étape supérieure, sachons apprécier à sa juste valeur ce bon petit film se défendant largement face à la masse de produits du même genre bien moins aboutis.