Attention: spoil en partie. Vdekja e kalit est un drame albanais et le premier film du pays à dénoncer le régime communiste. Il est sorti un an seulement après le passage de l’Albanie à la démocratie.
En 1975, le régime décide de fermer un haras militaire qui avait été créé par un général pour améliorer les chevaux de la nation. La raison : il y aurait un groupe de conspirateurs au sein de l’unité militaire, et ce groupe de conspirateurs aurait utilisé les chevaux… Cette annonce résonne comme un coup de tonnerre au sein de cette unité. Un vétérinaire, envoyé par le régime, examine Divi, un superbe étalon blanc qui était entraîné à devenir un champion et qui était destiné au général qui avait créé ce centre. Il le déclare malade et contagieux, contre toute évidence, et demande son euthanasie. Agron qui l’a entraîné tente de s’y opposer mais sans succès. Il propose alors de le tuer lui-même, mais au lieu de cela il le donne aux tziganes. Un acte de rébellion très dangereux, il peut en coûter très cher de ne pas exécuter les ordres du régime, surtout lorsqu’ils sont symboliques comme ici. Le cheval bien sûr n’est pas malade, la soi-disant maladie des chevaux renvoie à la « maladie » de l’opposition au régime et c’est elle que les dirigeants veulent neutraliser en envoyant un message clair. Cette attitude est encore plus dangereuse, au sein d’un système où la délation est reine, lorsqu’au sein de l’entourage il y a des personnes qui vous envient et qui rêvent de se débarrasser de vous…
C’est cette histoire tragique d’un homme qui nous est racontée, celle d’Agron, un héros ordinaire dont la vie est littéralement brisée pour un acte simple de résistance contre l’absurdité, le non-sens. Un acte qui n’est pas politique, mais simplement humain. Malheureusement, dans un pays soumis à la dictature, tout acte est politisé. Face à la folie du pouvoir, il y a deux attitudes possibles : se taire, s’écraser pour sauver sa peau ou bien suivre sa conscience et résister. C’est ce que le commandant du camp exprime clairement lors du procès d’Agron :
Je pourrais être à sa place comme beaucoup d’autres. Mais nous nous taisons. Nous sommes malins, nous restons libres (…). Je savais aussi que la destruction du centre scientifique était un crime, après tous ces investissements, nous le pensions tous, mais nous n’avons rien dit. Nous avions peur d’être en danger si nous parlions ouvertement. Donc, nous nous sommes tus (…). Des milliers de personnes ne disent pas ce qu’elles pensent (…). Je me suis tu et je suis libre. Il a parlé et il est ici.
L’enjeu du drame d’une nation soumise à la dictature est exprimé dans ce discours. Des milliers de personnes choisissent le silence pour continuer à vivre, mais à quel prix ! Se taire, c’est sauver sa peau, c’est aussi protéger sa famille. Tout opposant met en danger sa vie mais aussi celle des siens. Le prix peut être très lourd à payer pour l’entourage.
Agron exprime peu de choses, mais nous voyons à travers son regard et son comportement qu’il ne regrette rien, qu’il reste le même, malgré ce qu’il subit. Il appartient à cette poignée d’hommes droits qui agissent selon leur conscience, quoiqu’il en coûte. Il appartient à cette poignée d’hommes ordinaires et obscurs, qui ne font pas la une des journaux mais dont les actes nous empêchent de désespérer de l’être humain.
L’histoire s’achève avec la révolution et le passage du pays à la démocratie. Événement arrivé un an avant la sortie du film. Le cinéaste est loin d’être naïf et emporté par l’enthousiasme général… Il nous montre l’un des partisans du régime communiste devenant député. Cet homme, dans son discours, exalte la démocratie comme auparavant il exaltait le parti dictatorial… Et dans ses rencontres privées, il prononce les mêmes paroles : en cas de besoin n’hésitez pas à faire appel à moi, je ferai ce que je pourrai pour vous ! Promesse totalement creuse et vide, paroles d’un opportuniste.
Tandis que cet homme accède aux plus hautes responsabilités, Agron cet homme vrai avec lui-même s’éloigne seul et oublié.
Vdekja e kalit accompagne cette sombre histoire par de nombreux plans des étalons du haras : de superbes bêtes, des purs-sangs courant dans la lumière du soleil, crinière au vent, fiers, libres, fougueux, robustes, innocents. Ces images renforcent le sentiment d’oppression, d’emprisonnement, de non-sens généré par ce pays communiste.
Vdekja e kalit est un film tout en sobriété, qui ne tombe à aucun moment dans le pathos et dont le ton est juste. Le film d’un cinéaste dont le pays sort de 40 ans de dictature et qui offre un regard lucide sur ce qui s’est vécu et sur cette nouvelle étape de l’histoire de son pays.
Pour terminer : la musique du générique d’ouverture, reprise à la fin du film est magnifique. Je n’ai malheureusement pas réussi à l’identifier. Si quelqu’un la connaît je serais contente de savoir d’où sort cette chanson !