On y a cru ! Avec son bagage bien installé dans le registre dramatique du cinéma américain, voir Lee Daniels s'aventurer pour la première fois vers l'horreur, et plus particulièrement le film d'exorcisme souvent bien trop figé dans ses stéréotypes éculés, pouvait signifier une approche plus profonde et sociale du genre. Et, en cela, le cinéaste se montre plutôt à la hauteur de cette espérance durant une bonne heure de "The Deliverance".
En effet, bien loin de la sacro-sainte famille US blanche déménageant dans un joli pavillon synonyme de foire aux démons, le film nous installe d'emblée dans le quotidien d'un enfer bien humain. Celui d'Ebony, jeune matriarche alcoolique et ex-détenue, devant gérer malgré une situation financière précaire l'installation de ses trois enfants et de sa propre mère sous un nouveau toit plein de mauvaises surprises.
Le mal se fait évidemment sentir par petits à-coups paranormaux mais, accroché aux fondations qui entourent cette famille en perdition, il se nourrit avant tout de la détresse de ses habitants sur laquelle Lee Daniels préfère d'abord se focaliser. Entre le trou noir de l'alcoolisme et les éclats de violence qui y sont consécutifs d'Ebony, la terrible maladie que sa mère tente d'étouffer en s'accrochant aux artifices de sa jeunesse et, surtout les non-dits pourrissant inextricablement l'amour que l'on sent pourtant bien présent entre ses trois générations, les maux de chacun sont en effet vus ici comme une source intarissable de "nourriture" à celui bien plus obscur et ancestral qui grandit dans l'ombre de leur vie commune, où le désespoir ne cesse de l'emporter face à leurs difficultés matérielles et émotionnelles.
Si, dans cette routine grandissante de la tragédie familiale, Lee Daniels ne révolutionne pas le cinéma où il a fait ses preuves, il faut bien avouer que sa maîtrise de ce contexte de famille métissée, en plein quartier à dominante afro-américaine laissée à son sort, permet à "The Deliverance" de délivrer les prémices d'un film de possession à la tonalité quelque peu différente, concentré sur des personnages défaillants forts et pour lesquels le duo Andra Day/Glenn Close livre des prestations remarquables (la deuxième délaissant de plus en plus la couverture de son apparence face à sa prise de conscience de la situation y est saisissante).
Malheureusement, lorsqu'à mi-parcours, "The Deliverance" va laisser passer le surnaturel au premier plan (avec pour prétexte de confronter Ebony à sa part d'ombre et ses causalités), Lee Daniels va complètement lâcher les ballons dans le grandguignolesque le plus éculé du film d'exorcisme.
Craquages d'os dans tous les sens, eau bénite qui coule à flots, visages démoniaques garnis de dents pointues et d'yeux noirs, lévitations en position christique, éructations de remarques perfides, gamin collé au plafond, séance d'exorcisme qui tourne bien entendu très mal... Lee Daniels passe en revue toute la panoplie du registre en pensant sans doute faire d'une qualité sa générosité d'effets en la matière mais, n'ayant rien de plus à délivrer en termes d'originalité visuelle ou de discours dramatique qui y serait soudainement transcendé, "The Deliverance" se mue en chemin de croix interminable pour qui est un tant soit peu familier du genre et réduit même une bonne partie de ses développements précédents à un prétexte pour ce déballage imaginé comme spectaculaire mais à la portée en réalité terriblement vaine. L'enfer d'assister un énième film d'exorcisme devient ici le nôtre et frôle même le sentiment de damnation éternelle tant cette dernière partie semble s'étirer au-delà du raisonnable. On finit par remercier d'en être à notre tour délivré à l'apparition du générique du fin. Vraiment dommage car la partie la plus tristement réaliste de "The Deliverance" méritait mieux que ça.