Des Teufels Bad, le Bain du Diable. Eh bien, quel film ! Nous sommes ici dans la lignée
de ces œuvres naturalistes historiques et plutôt feel bad, comme Bruno Reidal ou Godland récemment. Des œuvres aux ambiances parfois proches, malgré leurs sujets différents (quoique), et où des gens souvent mal peignés sont soumis aux affres d’une nature qui ne rigole pas, emmitouflés dans des habits qui grattent. Des Teufels Bad se déroule au début du XVIIIe siècle dans les montagnes autrichiennes. Un cadre bien inhospitalier qui accueille une jeune femme, Agnes, décidée à être une bonne épouse et dont les humeurs se feront assiéger par la mélancolie… Avant d’arriver à son histoire, le film s’ouvre sur un meurtre mystérieux, une femme jette un nourrisson du haut d’une falaise, et par la suite, Agnes semble étrangement fascinée par le cadavre décapité de la meurtrière qui, posé là dans la forêt, a été livré en pâtures au temps qui passe. Et il passe étrangement dans cette vallée martyrisée par une saison unique : celle où le temps est pourrie et où on se les gèle sévère. A ce sujet, j’ai pensé plusieurs fois à l’un de mes romans préféré, « Les Saisons » de Maurice Pons et je me suis dit que le spectacle proposé entretenait une certaine proximité avec ce récit… Ddurant ses deux heures éprouvantes, l’intrigue chemine discrètement, sans que le spectateur ne sache vraiment ce que le film cherche à faire, en suivant un rythme lent, contemplatif mais jamais chiant. Bien documenté, plongé dans le quotidien pénible de ces paysans pêcheurs, le chemin d’Agnes n’a pourtant rien de misérabiliste. Si son comportement irrite ou interroge son entourage, on est loin du portrait d’une martyrisée. Le film présente une réalité certes pas jojo, mais n’essaye jamais de l’exagérer ou de jouer avec pour en surligner les dimensions parfois répugnantes ou absurdes. Si le film s’applique à illustrer les souffrances d’Agnes, il n’en profite pas pour accabler son entourage. Et si c’est souvent éprouvant, psychologiquement et visuellement, si aucune de ces coutumes villageoises assez baroques ne nous seront épargnées, et que l’on ressent le froid, la neige, et les ronces, Des Teufels Bad peut compter sur des qualités formelles terrassantes pour illuminer son propos. La photographie, le cadre et surtout la façon dont l’image restitue les couleurs de ses paysages composent des plans merveilleux, et c’est d’une beauté formelle constante, et hypnotisante. On pense évidemment aux peintures de Jean François Millet, et c’est un festin visuel.
Accompagné d’une musique discrète mais envoutante, le film est d’une puissance évocatrice indéniable. A ce niveau, c’est un chef d’œuvre. L’autre éclatante réussite du film, c’est l’interprétation de son actrice principale, Anja Plaschg, fabuleuse dans un rôle particulièrement difficile. Et l’empathie que l’on a pour le personnage marche main dans la main avec celle que l’on éprouve pour l’interprète. In fine, lorsque ce spectacle accablant et franchement déprimant débouche sur sa terrible conclusion et que tout prend sens, l’introduction, la fascination d’Agnès pour le cadavre et la description haute en couleur de la dépression, Des Teufels Bad révèle toute son ambition narrative - le sens de la phrase qui ouvrait le film - et récompense le spectateur qui avait parfois pu se sentir un peu perdu, s’interrogeant sur les raisons qui motivaient le film a l’emmener déambuler de la sorte de sous bois en marécages douteux, en ratiboisant ce qui lui restait de moral à coups de sabots.
C’était brillantissime !