Après le redoutable (et un peu traumatisant) succès populaire du biopic révisionniste et bien pensant sur Queen, on ne peut que se réjouir de voir "sortir" (on est sur Netflix, alors on ne sait pas bien quel mot employer...) un biopic sur les affreux crétins de Mötley Crüe, qui plus est adapté de leur biographie à l'excellente réputation. Et la première heure du film est tellement réjouissante qu'elle nous laisse croire que ça y est, "le Rock" a gagné la partie sur le Marketing tout-puissant et le conformisme politiquement correct, et qu'on va enfin avoir droit à un p... de film rock'n'roll.
Après une première scène de femme-fontaine qui a le mérite de bien poser les choses (Sex and Drugs & Rock'n'roll forever !), le film s'engouffre dans le récit à quatre voix - soit mine de rien, une jolie approche démocratique du biopic, qui n'est pas pour rien dans la réussite de ce démarrage sur les chapeaux de roue - de la création du groupe et de ses premiers triomphes. Et là, ça dépote particulièrement, parce que Jeff Tremaine a le bon goût de ne prendre aucun recul par rapport au récit, à la fois homérique et dérisoire, de vies minables et de rêves crétins, qui vont se sublimer dans la baise, la came et (oui il en faut aussi) la musique la plus bruyante et la plus spectaculaire possible. Les personnages, plutôt bien interprétés, avec la juste dose d'auto-dérision nécessaire pour faire passer leurs outrances, sont immédiatement attachants, et le rythme échevelé de la narration permet de passer sur bien des aspects "gênants" de la biographie. On appréciera aussi la manière dont les scénaristes assument et reconnaissent ne pas avoir pu parler de certaines choses, sans doute pour des raisons légales (ce personnage que l'on efface du film, une belle idée !), et on aurait aimé la même franchise quant à la disparition de Pamela Anderson de cette grande épopée débile du XXè siècle !
Après une scène extraordinaire avec Ozzy Osbourne, qui justifie à elle seule le visionnage de "The Dirt", Tremaine se prend les pieds dans le tapis quand il s'agit de négocier le virage - inévitable - vers l'âge adulte, l'addiction aux drogues, l'impossibilité de combiner les responsabilités familiales et professionnelles avec le mode de vie extrême d'un groupe qui a franchi allègrement toutes les lignes blanches (… et rouges, peut-être !). On a alors le sentiment pénible de retourner la queue basse (!) vers le tout-venant du biopic hollywoodien, même si l'on nous évite heureusement la bonne vieille morale des familles. La mort s'invite à la partouze, et comme c'est celle d'une enfant, il aurait fallu sans doute plus de subtilité pour intégrer ce rude rappel à la réalité dans un film qui s'est surtout distingué par sa capacité à délirer : Tremaine n'a juste pas le calibre pour savoir comment garder le cap de la folie sans pour autant fermer les yeux sur l'horreur du monde.
Et la conclusion, si juste pourtant (quand tout s'est effondré, il reste… le boulot, qu'on continue à faire avec ses collègues / amis aussi bien qu'on le peut, quelque chose comme ça…), ne fonctionne pas complètement, justement parce que, dans sa course effrénée vers la débauche et l'orgie, le film a négligé dans sa première partie de trop nous montrer en quoi ça consiste exactement, ce travail de "musicien" (… peu importe que l'on aime le heavy metal ou pas, là n'est pas la question…) qui parvient à illustrer les désirs et les fantasmes de toute une génération d'adolescents. "The show must go on", comme on disait dans le métier, dans tous les métiers de l'Entertainment. Et c'est une épitaphe qui en vaudra bien d'autres, sur la tombe de la bande à Nikky Sixx.
"The Dirt" passe ainsi à côté du grand film de Rock'n'Roll qu'il aurait pu être, mais, vous savez, ce n'est pas vraiment grave non plus.
[Critique écrite en 2019]
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