Evangelion n'est résolument pas une épopée à prendre au premier degré. Ceux-qui se sont risqués à l'analyser comme telle se fourvoient bien souvent dans une simple comparaison entre une série animée pleine d'espoir avec un film adulte qui se veut être une apothéose qu'on ne peut imaginer plus dramatique, mais avant même d'en comprendre les rouages, parler d'un chef d’œuvre tel que End of Evangelion nécessite d'en comprendre le contexte et de commenter l'articulation des épisodes avec le film.
Bien souvent en animation, la psychologie des personnages est laissée au second plan, en faveur de scénarios basés sur des combats et sur leurs commentaires, en prétextant un vague rapport aux pensées des personnages sans pour autant fouiller au plus profond d'eux. Evangelion introduit une toute autre dynamique, où le réalisateur nous amène à sortir complètement que ce registre. Dans End of Evangelion, on se libère totalement du cadre formé par les registres habituels. Alors que Shinji Ikari, anti-héro absolu, se refuse toujours et encore à prendre une quelconque décision, qu'Asuka Langley-Sorryu se déchaîne contre les Evangelion de série et que Rei, fini par se dés-instrumentaliser des griffes de Gendo Ikari, la fin et la renaissance du monde, justement sujet principal de l'anime, fini par apparaître. On arrive finalement à comprendre le titre "Neon Genesis Evangelion", qu'on pourrait traduire par "Nouvelle Evangile de la Genèse". D'ailleurs, même si Anno Hideaki s'est refusé à toute assimilation religieuse, probablement afin de ne pas cliver, les références judo-chrétiennes sont bien plus qu'un support visuel, et sont au cœur même du film : End of Evangelion est parvenu à rapprocher le religieux avec la technologie.
Mais cette fin du monde, quelle est-elle ? Une fin du monde réelle, physique, ou une fin du monde simplement psychologique, reflétant l'esprit de Shinji, complètement dévasté par la pression que son père exerce sur lui, et sur une existence qu'il ne peut assumer ? Beaucoup d'ailleurs ont critiqué l'immobilisme de Shinji Ikari et son refus de combattre, néanmoins, la fin d'Evangelion suggère que ce pourraient être finalement les Evangelion qui ont précipité la fin du monde, et notamment lors de l'instrumentalisation de l'EVA-01 par la Seele, et de la recréation des arbres Séphirotiques – qu'on voit dans les premières secondes du générique de la série sans jamais revenir dessus dans la série animée – et de la vie, symboles issus de la tradition kabbalistique.
On peut alors se demander au fond, et c'est finalement la grande suggestion qui nous est apportée dans les dernières minutes d End of Evangelion, si les EVA ne représentent pas en définitive le mal, et les Anges, présentés comme des démons, le bien. Le spectateur averti comprendra d'ailleurs que le seul est unique but des Anges est la destruction des Evangelion, et il n'est à ce titre jamais fait mention d'une attaque des Anges contre les humbles mortels de la planète...
Si Anno a d'ailleurs souhaité que la traduction d'Ange perdure, c'est probablement en vertu d'un souhait personnel de dé-diaboliser ces créatures probablement divines, venues sur terre pour punir un homme qui se prend pour Dieu, qui a créé des humains de synthèse, en la personne de Rei, et des unités EVA.
End of Evangelion nous livrerait donc une réponse finale : l'Evangelion serait alors la seule et unique raison de la venue des Anges, et le NERV, une entité dont le seul but et de garantir que la fin du monde qui sera finalement provoquée conjointement par Gendo Ikari et la Seele, pour des raisons différentes.
Les pilotes, Shinji Ikari, Asuka Langley-Sorryu et le malheureux Toji Suzuhara, sans compter les exemplaires des Rei, apparaissent donc comme les victimes d'un mécanisme machiavelique, et la réaction de Shinji Ikari, pourrait presque apparaître saine en ce sens, l'anti-héro serait en définitive, un vrai héro.
Alors qu'un déluge de violence s'abat alors sur la planète, un message religieux voire ésotérique est transmis au spectateur : celui de faire attention à nos agissements, car ceux-ci peuvent se retourner contre nous, quand bien même un mal induit le serait à notre insu. On se retrouve alors assez proche de la pensée pacifiste et naturaliste de Miyazaki, référence qui n'est pas sans suggérer alors certaines similarités comme notamment le recours au rêve pour alimenter les réflexions philosophiques des personnages.
La fin du monde étant initiée, la dernière partie du film peut avoir une interprétation double ; la première qu'on qualifiera de physique, n'est pas nécessairement la bonne, dans la mesure où les images paraissent tellement étranges, sans cohérence, qu'elles semblent suggérer que la violence extrême et la renaissance des ruines d'une terre dévastée, ne sont qu'en vérité une parabole représentant l'état d'esprit de Shinji Ikari, lorsqu'il a compris que son immobilisme avait précipité la fin de toute vie sur Terre.
Si celui-ci, protégé par son Evangelion et par l'âme de sa mère, se retrouve donc seul, avant, sa propre mort, provoquée par l 'extinction de l'EVA-01, on comprend que sa décision de reprendre les commandes de l'EVA-01 et donc celle de se battre était finalement la pire de sa vie : on retrouverait ici le message pacifique développé plus haut.
C'est d'ailleurs cette vision psychologique qu'on retiendra : la présence totalement incohérente d'Asuka, supposée morte et dépouillée de son Evangelion, tout comme celle ce Shinji, théoriquement tout aussi mort à bord de son EVA, tous deux sur la plage d'une mer de sang (ou de LCL) renforce bel et bien l'idée que c'est de la destruction de l'esprit de Shinji que nous livre Anno.
Techniquement cette fois, le film est de très bonne facture, l'animation est fluide, les combats sont bien orchestrés, la musique, les effets sonores sont de très bel effet, et, on ne tombe pas dans l'extrême vu dans Rebuilt of Evangelion, où les EVAs perdent tout leur sens, affublés de capacités ridicules. End of Evangelion est bel est bien l'apogée de la série, et en ce qu'il fait perdurer l'identité des EVA, tout en développant leur raison d'être.
La fin d'Evangelion est, n'ayons pas peur des mots est un miracle ésotérique et cinématographique, car présentant pour la première fois dans l'histoire de l'animation un scénario complexe et résolument adulte dont l'issue est la fin du monde, en réussissant à mêler parfaitement les aspects physiques, psychologiques, ésotériques et religieux. Si beaucoup n'ont pas aimé ce film, c'est probablement parce qu'habitués aux modèles imposés par les blockbusters américains, ceux-ci n'ont pas véritablement compris que la fin d'Evangelion est avant tout une réflexion psychologique se basant sur un film de science fiction et non pas l'inverse.
End of Evangelion restera pour longtemps un monument de l'animation, en ce qu'il a réussi la réunion de la psychologie dans son expression la plus extrême en la confrontant avec la réalité.