Il y a ces films qui nous bouleversent. Quand le générique se termine on est encore statique devant l’écran, le visage ruisselant de larmes, les lèvres partagées entre peine, joie et choc, les nerfs encore dans l’œuvre dégagés de la réalité. Après quelques minutes, on prend un peu de recul et on rit de soi-même en espérant que personne ne fasse irruption dans la pièce pour demander « Mais qu’est-ce qui te met dans cet état ? ». On a peur de dire que c’est la faute d’un film parce que, « ce n’est qu’un film après tout, je ne devrais pas sangloter ainsi c’est ridicule ». Ce n’est qu’un film mais après on se rend compte qu’on y pense, 5, 10, 15, 30 minutes après et on doit se rendre à l’évidence : on a vécu une expérience, on est marqué, maintenant il s’agit de comprendre. Le film est triste ou juste fort bien sûr, mais là c’est autre chose. Peut-être que c’est parce que le film relate une expérience que l’on a vécu, exprime un sentiment que l’on a ressenti car, on ne va pas se mentir, on les aime ces films qui nous parlent, qui parlent de nous. On réalise alors que l’on s’est peut-être trop impliqué, qu’on a tout confondu, sa propre vie et celle des protagonistes, qu’on a perdu la notion de notre propre corps, de notre propre histoire, que tout ceci est allé trop loin. Pourtant ce n’est qu’un film. On a peur d’être trop submergé d’émotions, de n’avoir aucune objectivité parce qu’on a rien analysé, on a pas réfléchi, on s’est trop laissé avaler par l’œuvre. Alors on doit le revoir. Parce que ce n’est qu’un film mais c’est The Fountain.


J’aimais Darren Aronofsky. Requiem for a Dream m’avait en un certain sens sauvé la vie tout en déclenchant ma passion cinéphile, Pi apparaissait comme ma première plongée dans le presque expérimental, et je trouvais Black Swan magnifique. Alors c’est peut-être parce que j’aimais beaucoup l’auteur que c’est arrivé. Peut-être que c’est lorsqu’on croit voir « l’âme » de notre réalisateur préféré qu’on se sent transcender par l’œuvre qui la modélise. Darren Aronofsky aime parler des obsessions et cela de Requiem à Noé. The Fountain n’est qu’un film mais il parle d’un homme tourmenté et dévoré par la mort et par la vie. Il est obsédé par la maladie mortuaire, se drogue de recherches et d’expériences, n’a pour sport que la médecine qui pourrait lui permettre de la sauver Elle. Elle, Izzi, sa femme qui s’en va et qui le laisse dans un manque asphyxiant. Ce n’est pas un film sur l’Arbre de Vie, sur l’histoire de l’humanité, sur le mystère même de l’au-delà. C’est un film sur l’Amour, celui qui rend malade, celui qui obsède, possède, prend la place d’une vie entière. C’est un film sur l’Amour mort qui, lorsqu’il disparaît, rend la mort-même ennemi obsédant. C’est ici la plus belle et la plus cruelle des hantises que nous montre Aronosfky comme ultime obsession qu’il voulait filmer, comme s’il avait cristallisé en une œuvre son cinéma dans ce qu’il a de plus terrible et de plus magnifique. Ainsi, ce n’est qu’un film mais il atteint le sublime.


The Fountain atteint le sublime dans son esthétique qui arrive à un sommet que la réalisateur n’avait jamais touché et ne touchera plus jamais (du moins jusque-là…). Une esthétique de la lumière, entre les boules dorées qui inoculent chaque plan d’auréoles jaunâtres oniriques et calmes, et les fenêtres blanches plus réelles, plus impitoyables mais entièrement immaculées, aussi pures que le lien qui uni les personnages, que leurs obsessions humaines magnifiques. Un éclairage couplé à une mise en scène brillante faite de plans fixes pour un film qui se pose, où les compositions sont aussi jolies que paisibles, où tout devient un dessin, un tableau, où chaque millimètre est réfléchi. Car dans The Fountain tout est bâti en échos, les plans se répondent et se ressemblent et toutes les pièces des trois puzzles a priori différents ne forment qu’une scène, n’écrivent qu’une histoire, autour d’un unique homme. Un homme dont le parcours bouleversant est guidé par la musique incroyable et de Clint Mansell qui brode autour de ce film une bande originale magnifique. Les minutes sont rythmées par ses mélodies parfois féeriques parfois angoissantes, aussi marquantes que la brillante simplicité de sa célèbre partition pour Requiem. Épousant parfaitement les images d’Aronofsky, les notes deviennent viscérales, jusqu’à l’apogée avec son morceau « Death is the Road to Awe » qui semble faire jouer les étoiles tandis que le film explose dans des astres lumineux.


Une acmé sonore et visuelle qui s’installe à la fin et révèle toute sa beauté, tout son simple et complexe message. Car The Fountain, ça parle de cela, le « chemin de la mort », le deuil. Le deuil de l’être aimé et de sa propre personne lorsqu’on réalise brutalement à quel point on est mortel. Ce film c’est le conquistador qui comprend que l’immortalité est inatteignable sous sa forme humaine, c’est l’astronaute qui après un long voyage doit accepter que la mort « n’est qu’un autre chemin » (dixit Gandalf), c’est Tommy le médecin qui doit consentir à la laisser partir, qui doit atteindre l’ataraxie qu’elle a trouvé, qui doit cesser de se battre contre l’imbattable pour ne se concentrer que sur Elle.


The Fountain ce n’est qu’un film mais c’est la plus grande œuvre sur le deuil et une bouleversante histoire d’amour. Ce n’est qu’un film mais c’est de la science-fiction, de l’historique, du mystique, de la romance, de l’expérimental. Ce n’est qu’un film mais il transcende de joie, de pleurs, d’espoir, de peur. Ce n’est qu’un film mais il parle de moi, il me comprend moi, il me rend presque nerveuse par sa beauté. Ce n’est qu’un film mais c’est l’une des plus puissantes expériences de ma vie.

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le 27 juil. 2016

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