Aller voir un film de Wes Anderson, c'est vouloir retourner dans un monde idyllique (amer et mélancolique aussi, mais par ci par là seulement) et sans soucis pour quelques heures. On sait à quoi s'attendre, choses que la structure alambiquée de The French Dispatch et ses deux dernières histoires prouvent bien, s'axant davantage sur des morceaux de bravoure réminiscents du Grand Budapest Hotel.
Ce film aurait donc pu être le premier symptôme d'un essouflement du réalisateur, qui ne pourrait que finir par s'embourber dans son univers excentrique et unique, certes, mais dont les codes sont maintenant bien connus du publics.
Mais dans la première histoire du film, Anderson étonne, et c'est bien la dernière chose qu'on espérait de lui.
Dans celle-ci la mise en scène est comme toujours, et bien, Andersonienne. L'attention portée au rhytme, la musique l'accentuant, et les compositions millimétrées, symétriques n'étonnent plus trop après 10 films, esthétique ayant atteint son apogée lors du Grand Budapest Hotel.
Mais si lors du Grand Budapest Hotel cette esthétique servait une ambiance enfantine et mélancolique à souhait, ici c'est entièrement différent.
L'histoire s'ouvre sur une scène de nudité silencieuse et sévère. Rien que ça désarme le spectateur assis confortablement dans sa chaise, et qui n'y était pas préparé.
Le langage et toujours le même, mais le ton est maintenant adulte. La rigueur rythmique des images dresse tout un portrait. Celle d'un artiste au cœur gigantesque qui rêve d'un monde tel un éclat de couleur, mais symboliquement et littéralement prisonnier d'un monde gris et terriblement silencieux devant les grands yeux de Benicio del Toro, d'ailleurs follement touchant. Et ce monde est entièrement construit par cette mise-en-scène Andersonienne reconvertie.
Certes M. Gustave joué par Ralph Fiennes était lui aussi un homme mélancolique et suranné. Mais on ne sentait sentait cela que par éclats, émergents de l'idylle du Grand Budapest Hotel. Ici la terrible aliénation, le contraste entre les aspirations du personnage et le silence froid du monde qui l'entoure sont quasi constants. Et lorsque ceci est cassé par quelques touches d'humour, comme la course-poursuite en chaise roulante, cet humour ne fait qu'accentuer la triste absurdité du monde.
Et si les deux autres histoires ne sont pas sans charme - la troisième a plus la pêche et est parsemée de moments mélancoliques, la deuxième, assez rigolote et sympathique à la revoyure - cette première histoire les éclipse en se rangeant parmi les plus hautes sphères du cinéma d'Anderson.