The French Dispatch : Une histoire du texte à l’écran

  Parmi les différents défis qu’a dû relever le cinéma pour s’élever au rang d’art, il y a eu le détachement de la littérature. Les cinéastes mais avant tout les critiques ont défendu le fait que le cinéma n’était pas simplement un roman visuel, mais qu’il possédait ses propres moyens d’expression au-delà du texte. Néanmoins, malgré ce refoulement de la littérature, le cinéma et l’écrit se trouvent inexorablement liés. Quel que soit le rendu final, le cinéma est nécessairement un passage de l’écrit vers l’image. Et tout le travail du réalisateur se construit autour d’une question : « comment effectuer cette transition ?». En effet, tout film quel qu’il soit (ou du moins la plupart, les exceptions existent), a pour point de départ un scénario textuel. Certes il s’agit d’un document technique et codifié qui n’a pas pour finalité d’être évalué comme œuvre. Mais il n'en reste pas moins que le réalisateur a pour mission d’effectuer cette fameuse transition du texte à l’image, et qu’au final aucun cinéaste ne peut nier le lien étroit que noue le cinéma avec l’écrit.
Par ailleurs, malgré les tentatives de divorce entre cinéma et littérature, le 7ème art n’a cessé de s’inspirer de celui-là et ce depuis ses prémices, je prendrais un des exemples les plus célèbre Le voyage dans la lune de Georges Méliès sorti en 1902 qui adapte un texte de Jules Verne. Cet attachement pour l’adaptation littéraire ne s’est pas dissipé au fil des siècles, une grande partie des productions qui sortent en salles aujourd’hui (20%)* sont des adaptations littéraires. Outre les romans, les cinéastes vont chercher l’inspiration dans d’autres registres de la littérature dont notamment la bande dessinée. Ce lien entre le texte et l’image ne cesse donc d’évoluer et de se réinventer, en cherchant de nouvelles manières de rendre à l’image un support distinct.
Wes Anderson, avec son film The French Dispatch sorti en France le 27 octobre 2021, ne déroge pas à cet exercice. A l’exception du fait que le support littéraire qu’il adapte n’est habituellement pas projeté au cinéma : Un journal, fictif certes mais un journal tout de même. Ce qui est surprenant c’est que contrairement au roman ou à la bande dessinée, le journal n’a pas pour but d’être une œuvre d’art, mais un média d’information. Et c’est là qu’est le premier point fort de ce film : transformer en objet d’art un objet du quotidien. Dans la démarche (et uniquement la démarche pas la forme) il y a une inspiration qui hérite du mouvement ready-made et de ceux qui l’ont suivi. Bien qu’il existe des formes filmiques proches du journal ou de la revue tel que le reportage, ce ne sont pas des objets de cinéma et donc d’art. Certes il fut un temps où les actualités étaient projetées en salle, mais le but était d'informer le public avant la projection d’un film, et non de faire de ces reportages des objets d'art.
Ce choix de format, le cinéaste ne l’a sans doute pas laissé au hasard. Wes Anderson n’est ni plus ni moins qu’un auteur de cinéma, dans le sens où il possède un style visuel marqué et reconnaissable qui fait sa signature. Cette signature est avant tout visible par son goût prononcé par les maquettes. De nombreux décors de ces films sont des casses, liés entre elles par un tout, mais indépendant. Je ne donnerai qu’un exemple parmi tant d’autres, le sous-marin de La Vie aquatique sortie en France le 9 mars 2005. Un page de journal est comme une maquette d’un film de Wes Anderson, des articles assemblés pour faire un tout. À première vue c’est une nuée d’informations diverses, aux tailles de polices variées qui s’offre au lecteur. Il faut s’arrêter sur chacune des cases afin de saisir l’information. Le choix de ce format permet à Wes Anderson de pousser davantage son style cinématographique. On y décèle une mise en abyme, le film tout entier est une maquette qui regorge elle-même de nombreuses autres. Ce

film à sketches n’est pas décousu, bien que le titre avertisse le spectateur de son aspect «
dispatché », il est maintenu lié par son sujet The French Dispatch. Le cinéaste mêle les formes
et les langues, passant parfois au sein d’une même séquence, du noir et blanc à la couleur ;
ou bien de la prise de vue réelle à l’animation, ou de l’anglais au français. Rappelons qu’un
journal est souvent composé d’illustrations ou de bandes dessinées, d’images parfois en
couleurs parfois non. Néanmoins le passage de l’un à l’autre ne s’arrête pas là, mais une
analyse plus poussée serait nécessaire afin d’en comprendre plus précisément la raison.


A l’issue de cela je dirai que sur ce film, Wes Anderson fait également de son spectateur
un lecteur. Il a su trouver une forme cinématographique qui rend hommage à son format de
départ. Le spectateur découvre le dernier numéro de The French Dispatch, page par page.
17/11/2021


*Etude de 2018 suite à une étude Livres Hebdo. Information donnée par le CNC :
https://www.cnc.fr/cinema/actualites/les-adaptations-litteraires-au-cinema-une-valeur-sure_957490

tetedegrenouille
9

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Créée

le 21 nov. 2021

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