L'histoire de Yip Man a toujours fasciné les cinéastes orientaux. L'homme né en 1893 en Chine, maitre de Wing Chun, a ouvert plusieurs centres de formation que ça soit à Foshan sa ville natale ou à Hong Kong. Il est surtout connu du public pour avoir enseigné, sur la fin de sa vie à un jeune homme du nom ... de Bruce Lee.
Sa vie a connu plusieurs longs métrages récent dont celui de Wilson Yip et sa suite, tous les deux avec Donnie Yen dans le rôle principal (et tous deux excellents !) ou encore un film appelé The Legend is Born – Ip Man et sorti en 2010.

Mais c'est la version de Wong Kar-Wai qui nous intéresse aujourd'hui car le réalisateur de In the Mood for Love a un univers visuel suffisamment particulier pour qu'on soit intrigué. Malheureusement, le film n'est pas aussi parfait qu'on aurait aimé qu'il soit...
The Grandmaster a perdu le "s" final de son titre et le film s'en ressent. Wong Kar-voulait réaliser un grand film sur plusieurs maître de kung-fu pour finalement se recentrer sur Yip Man. Il semble que la production ait été laborieuse et le spectateur le perçoit dans la construction. D'abord le film qui sortira sur les écrans européens a été raccourci d'une quinzaine de minutes par rapport à la version asiatique mais on n'a aucun mal à imaginer que Wong Kar-Wai a encore beaucoup de rushes sous le coude. The Grandmaster contient en effet des scènes (ou des absences de) assez étonnantes. On va par exemple avoir droit à quelques passages sur un maître appelé "The Blade" sans qu'ils soient directement rattachés au récit et sans qu'ils soient suffisamment denses pour intéresser le spectateur. Ca sent la coupe à tous les niveaux et un montage final un peu pénible. Peut-être aurait-il mieux valu ne se limiter qu'à Yip Man sans vainement tenter d'insérer d'autres personnages.

Mais au delà de ce problème structurel, The Grandmaster est un régal visuel. Emmené par deux excellents acteurs, l'exceptionnel Tony Leung (Les Trois Roaume) et la sublile Ziyi Zhang (Tigre et Dragon), le film est un ravissement visuel mêlant incroyables scènes d'actions et moments plus intimes, voir contemplatifs. Yuen Wo-Ping, chorégraphe connu pour avoir travaillé sur Il Etait une Fois en Chine mais aussi Matrix et Kill Bill propose des combats d'anthologie sublimement filmés par un Wong Kar-Wai plus qu'inspiré. Le réalisateur mélange les techniques : ralentis, accélérés, gros plans, séquences très cut ou plus longues. Il filme sous la pluie, sous la neige tombant en douceur ou encore sur un quai de gare avec en arrière plan un long train en marche et frôle le sublime. On ne va pas se mentir : The Grandmaster contient parmi les plus belles scènes de kung-fu qu'on ait pu voir.

Le réalisateur de My Blueberry Nights n'oublie pas non plus que le kung fu n'est pas un sport mais bien un art où les techniques et les écoles sont multiples. C'est pourquoi, voulant proposer autre chose que juste un film sur le kung fu mais bien une fresque sur les arts martiaux en général, il nous propose de voir différentes pratiques (notamment à travers une scène où Ip Man affronte différemment maitres), filme très souvent les positions de pieds si importantes dans les enchainement. Et il montre que les Chinois vivent leur pratique comme quelque chose de mystique, où la neige, la poussière et la pluie font figure d'aura autour des combattants.

En limitant ses décors au strict minimum et ne filmant que des hommes et des femmes, Wong Kar-wai montre que The Grandmaster est avant tout une histoire humaine. Les années passent, les gens changent, les relations se font et se défont, la guerre éclate mais l'art du kung fu et ses maitres sont toujours là. Yip Man est toujours là, jusqu'à ce qu'on le voit entrainer un petit garçon sur lequel la caméra insistera suffisamment...

Le projet était immense et Wong Kar-Wai a du faire des choix face à une concurrence autour de son héros de plus en plus rude. Ainsi son film à lui est peut-être moins biographique que celui de Wilson Yip, car se voulant étendu à d'autres maitres et aux arts martiaux au sens large et noble du terme. Ça lui coutera en terme de montage et de narration, imparfaite. Mais à la vue de chaque image, si soignée, de chaque mouvement si bien filmé, on ne peut que lui pardonner et se laisser emporter par les tourbillons de Tony Leung et Ziyi Zhang.

The Grandmaster est tellement beau, tellement bien filmé mais malheureusement un peu bancal en terme d'histoire, que Wong Kar-Wai est passé à un cheveu, un seul, du chef d'oeuvre ultime.
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le 21 mars 2013

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