Plus de 30 nominations, auréolé de 21 prix dans les divers festivals par lesquels il est passé, The Great Buddha+ est un film intéressant à plus d’un titre. C’est le premier long métrage du réalisateur de documentaires Huang Hsin-yao et il est question ici d’une version « étendue » de son court métrage multiprimé de 2014 The Great Buddha. Le + du titre est une référence à l’iPhone 6+ qui est une version améliorée de l’iphone 6, qui est sorti à peu près au moment où le réalisateur a commencé à « étendre » son court métrage en long métrage. Un petit détail qui peut paraitre insignifiant mais qui pourtant fait partie intégrante de la satire sociale de la société taïwanaise que le film met en images. Une société bien triste aux yeux du réalisateur, dirigée par l’argent, le pouvoir, les images, qui de nos jours pourrait être le reflet d’une bonne partie des pays du monde entier.


The Great Buddha+ n’est pas le film taïwanais le plus accessible et le plus facile à aborder. Pourtant, ce qu’il nous raconte est on ne peut plus simple. Pickle est un gardien de nuit dans une usine de fabrication de Bouddha géant. Naïf, pas très compétent, influençable, son maigre salaire lui sert à payer le traitement de sa mère malade. Chaque soir, son ami Belly Bottom, un collecteur de déchets sans le sou, curieux, travailleur, le rejoint dans son algeco où ils regardent ensemble des vieux magazines pornographiques que ce dernier a trouvé dans des poubelles, ou tout simplement la télévision. Lorsque la télévision tombe en panne, Belly Bottom propose à Pickle d’aller discrètement récupérer la carte mémoire de la dashcam de la Mercedes de son patron. Le duo reste assis, nuit après nuit, à regarder des images de route, espérant trouver un petit truc croustillant à se mettre sous la dent. Ils y découvrent, via ce qu’ils entendent, que leur patron est un chaud lapin, mais aussi qu’il cache de sombres secrets. Et ces secrets, Belly Bottom et Pickle n’auraient peut-être pas dû les découvrir…
The Great Buddha+ suit donc l’histoire de deux marginaux en grande difficulté financière. Deux oubliés de la société parmi tant d’autres, qui errent dans cette ville, sans réel but, en essayant chaque jour de pallier aux nombreux problèmes que la vie leur envoie à la gueule. Deux amis mais pourtant deux personnes au final seules (comme le final nous le laisse comprendre), délaissés par une société qui n’a que faire des « moins que rien », deux personnes là mais pourtant souvent invisibles. La description qui est faite de ces petites gens est on ne peut plus réaliste, pleine de désespoir, tout comme le milieu souvent sale, précaire, fait de bric et de broc, dans lequel ils évoluent. Leur vie est contrastée par celle de Kevin et de ses amis riches et puissants, qui batifolent dans des piscines avec des jeunes femmes, qui roulent en Mercedes, pour qui tout est une question d’argent, et surtout qui n’en manquent pas.


Le ton adopté par le réalisateur Huang Hsin-yao est quasi documentaire. Logique lorsqu’on sait qu’il vient de ce milieu-là. Le film nous raconte une histoire simple, avec des personnages simples, afin de donner encore plus de force à la critique qu’il fait de son pays et de ses institutions, souvent complètement hypocrites, où le pouvoir et l’argent gangrènent absolument tout, même la religion. L’opposition entre les riches et les pauvres est là à chaque seconde. Le film est en noir et blanc, et les seules images en couleurs sont celles que nos deux comparses voient via la dashcam, à l’intérieur de la Mercedes de leur riche patron. Le noir et blanc pour la vie morne de ces pauvres gens, la couleur pour les vies justement hautes en couleur des riches (bien que le réalisateur, dans une interview, avoue ne pas avoir créé cet effet de style dans ce but). Le réalisateur pousse la chose en américanisant les noms des riches, et en laissant aux pauvres des surnoms parfois ridicules. Les médias en prennent également pour leur grade, avec la recherche constante du sensationnel (la scène de l’arrestation vue sous différents angles). C’est le rapport que les gens ont à l’image en général que le réalisateur questionne, avec par exemple nos deux paumés qui vont passer la majeure partie de leur temps les yeux rivés sur cet écran, à la recherche du sensationnel, alors qu’ils n’auront au final à se mettre sous la dent que les sons de l’intérieur de la voiture (les dashcams ne filmant que l’avant du véhicule). Mais malgré cette vision parfois acerbe de son pays, The Great Buddha+ arbore un ton ironique souvent léger. Le film est rempli d’humour noir, souvent cynique, parfois absurde. On rit jaune, devant cette sombre réalité des laissés pour compte. La mise en scène elle-même comporte pas mal d’humour, à commencer par cette voix off, celle du réalisateur qui, à la manière d’un commentaire audio, va constamment briser le quatrième mur afin d‘ajouter des explications, parfois pour couvrir des trous dans l’intrigue, parfois simplement pour amener une touche d’humour. Cette narration assistée est au final un personnage à elle toute seule et permet d’amener un peu de rythme lors de certaines scènes un poil trop contemplatives. Car oui, le rythme de The Great Buddha+ n’est pas le plus trépident du monde. Quand on passe du court métrage au long métrage, on a parfois cette impression que certaines scènes sont un peu trop étirées, créant ainsi certaines longueurs.


Avec son ton documentaire, sa mise en scène réussie et sa narration originale, Huang Hin-yao nous offre avec The Great Buddha+ une satire sociale de la société taïwanaise réussie, bien que son rythme risque d’en laisser certains sur le bas-côté.


Critique originale avec images et anecdotes : ICI

cherycok
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le 17 juin 2021

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