Court Western de 1H30, The Grey Fox s'attelle à la tache de relater l'histoire de Bill Miner un des grands bandits de l'ère que les américains du nord appellent le "Gilded Age" (de la fin de la guerre de sécession à l'aube de la première guerre mondiale).
Connu comme the grey fox ou le gentleman bandit, Miner fait depuis longtemps partie du folklore canadien où il apparait comme une sorte de Robin des Bois, un voleur à l'ancienne durant les temps modernes des Barons voleurs comme Rockfeller, JP Morgan and co. En bref le petit contre les grands, David contre Goliath...
C'est sur cette ambivalence que le film se développe tout du long. Sur de très beaux plans larges, la modernité bruyante envahit les beaux espaces rocheux et verts silencieux à l'image des lignes de train à vapeur et leurs lourdes fumées qui inondent sans cesse la caméra. Comme le résume le personnage de Mme Flynn : "Ici c'est une époque de transition où se mêlent tant de beauté et d'horreur". C'est donc à la fin du XIXe siècle en Amérique du nord dans ce contexte - de progrès économique, de nouvelles inventions, d'avidité - organisé autour des relations marchandes que nous apparait un vieil homme au regard bienveillant, lumineux et un peu perdu : C'est Bill Miner (magnifiquement incarné par Richard Farnsworth) qui revient dans l'État de Washington se refaire une petite place après plus de 30 années passées en prison pour braquages de multiples diligences. Pourtant rapidement sa nouvelle vie monotone d'ouvrier d'ostréiculture l'endort. Suite au visionnage hypnotique du film "Le vol du grand rapide", le désir de rebraquer se fait inéluctable mais cette fois ce ne sera plus contre les diligences de l'ancien temps mais les riches compagnies ferroviaires qui contrôlent des pans entiers de l'économie américaine.
Or au lieu de nous montrer les braquages puis les cavales de façon classique, Phillip Borsos cherche à montrer le sens de l'honneur et l'élégance maintenues coûte que coûte par ce Don Quichotte américain malgré l'arrivée d'une nouvelle époque dominée par l'argent roi et les relations marchandes. Miner refuse les braquages de banque pour ne pas pénaliser le petit peuple, refuse une nouvelle fois d'être ouvrier exploité au canada dans une scierie. Il ne participe pas à la raillerie d'une femme syndicaliste et s'interroge qu'un homme tuberculeux soit mineur.
Après un gros succès effectué avec son nouveau compagnon de route, le film nous dévoile de façon plus politique l'essor de la nouvelle société de l'ouest-canadien plus précisément en Colombie britannique (Ouest canadien proche de la frontière nord-américaine) où règnent les grandes compagnies de fer (Chemin de fer du Pacifique, CP) qui exploitent coolies (travailleurs chinois), femmes sous-payées pour construire leurs interminables lignes de chemin de fer tandis que l'ancien collègue bandit de Bill est reconverti en capitaliste minier froid et gérant d'hôtel.
Une fois de plus face à cette société marchande froide et silencieuse, Bill apparait comme une figure humaine chaleureuse auprès de cette nouvelle communauté à travers des scènes délicatement mises en scène par Borsos comme celles où il offre une orange à un jeune enfant ou encore les scènes romantiques entre lui et Mme Flynn (photographe progressiste aux ères de Katharine Hepburn) dans les grands espaces naturels qui rappellent l'esthétique malickienne des Moissons du ciel. Son humanité et sa bonhommie lui permettront par ailleurs d'échapper temporairement au sensible caporal canadien chargé de l'arrêter.
Après la traque ultime de Miner on assiste ainsi à une des plus belles scènes du film où Miner allant au train chargé de le transférer en prison est salué par la foule comme un saint à l'image du jeune enfant qui lui offre une orange ce qui fait écho à une scène précédente du film où Bill fit de même. Du fait du monopole de la CP sur les territoires de l'ouest canadien et sa population locale avec ses tarifs élevés envers les marchandises des fermiers, l'attaque de Miner lui donna une grande sympathie auprès de la population locale. Une anecdote connue de l'époque dit meme : « Oh, Bill Miner n’est pas si mauvais! Il ne vole le CP qu’une fois tous les deux ans. Nous, le CP nous vole tous les jours. ».
The Grey fox offre donc une belle ballade romantique d'un homme qui malgré son âge avancé parvient à conserver son humanité face à une société qui court trop vite à la modernité avec laquelle il est inéluctablement de plus en plus décalé. Ballade qui sent la vieillesse certes mais en aucun cas cas il s'agit d'une vieillesse pathétique et morbide viscontienne. C'est plutôt la ballade d'un homme lumineux et apaisé qui découvre le nouveau monde comme un enfant. Elle est par ailleurs magnifiée par les belles prises de vue de Frank Tidy qu'on retrouve aussi à la photographie quelques années auparavant dans les duellistes de Scott.