Après avoir vu Samara se prendre méchamment les cheveux sales dans le tapis avec la pitoyable tentative de ressusciter la saga "The Ring" américaine en 2017, on pensait que les spectres nippons (et leurs équivalents "corrigés" au ketchup US) étaient repartis une bonne fois pour toutes se faire un soin capillaire dans l'au-delà... Ben non. Nous voilà en 2020 avec un nouveau "The Grudge" et toujours autant surpris de sous-estimer le manque cruel d'inventivité de l'industrie hollywoodienne en matière d'épouvante. À bien y regarder, la manœuvre est pourtant logique d'un point de vue purement mercantile : en 2004, "The Grudge", remake de "Ju-on", a été un tel carton (avec son prédécesseur "Le Cercle" deux ans auparavant) qu'il a entraîné tout un tas d'adaptations plus ou moins heureuses de longs-métrages estampillés J-Horror (les films de fantômes japonais), alors pourquoi ne pas imaginer qu'une nouvelle version aurait le potentiel d'en faire de même durant la décennie à venir ?
Pour cela, rien de tel que de mettre le joli nom du producteur Sam Raimi en argument de vente comme à l'époque, de dénicher un réalisateur venu de l'horreur indé (Nicolas Pesce) pour signifier un semblant de vision artistique, d'avoir quelques acteurs plus que solides devant la caméra (Andrea Riseborough, Demían Bichir, John Cho, Lin Shaye et Jacki Weaver) et d'obtenir un petit R-Rated synonyme de scènes chocs afin d'affirmer une certaine différence face aux produits aseptisés du même genre. Tout cela sentait donc la formule et les astuces marketing à plein nez dans le but de nous vendre à peu près une soupe établie voilà déjà une vingtaine d'années.
Étonnamment, et même s'il n'est pas une franche réussite (soyons clairs là-dessus !), "The Grudge" 2020 va toutefois venir nous contredire en constituant réellement une proposition d'épouvante cherchant à ne pas se fondre totalement dans le moule habituel...
Bon, passons sur l'introduction sans intérêt qui valide en un éclair le passage de la malédiction du Japon à une maison américaine (car, oui, un tel bidule surnaturel peut traverser un océan de toute évidence...), elle ne fait que confirmer nos pires craintes après à peine quelques minutes et n'est pas vraiment représentative de ce qui va suivre, tout juste un simple clin d'oeil raté au passé.
En effet, "The Grudge" dévoile ensuite rapidement son approche bien plus intéressante de polar surnaturel où l'enquête menée par l'héroïne va devenir le fil conducteur de l'historique de toutes les victimes de la malédiction dans sa nouvelle demeure. Et, à notre grande surprise, ça fonctionne !
Certes, la démarche d'un cheminement policier couplée à une sombre histoire de fantôme n'a bien sûr rien d'inédite mais Nicolas Pesce l'exécute avec conviction en faisant baigner son long-métrage dans des ténèbres d'une envergure que l'on n'attendait pas à ce niveau ! Les partis pris esthétiques évoquent ainsi la noirceur d'un automne éternel, l'atmosphère instaurée parvient à demeurer pesante sur la durée, la lente vitesse de croisière est mûrement réfléchie, le ton est adulte et morbide à souhait (avec quelques pointes d'une violence inattendue de surcroît), le choix du casting apparaît on ne peut plus judicieux vis-à-vis d'une palette de rôles torturés (Andrea Riseborough en tête)... Bref, que cela soit dû à leurs propres douleurs, à la malédiction ou aux deux, l'espèce d'état ultra-dépressif permanent dans lequel évoluent tous ces personnages mal rasés ou aux bagages de cernes records déteint sur la totalité de "The Grudge" et lui confère une identité à contre-courant des canons commerciaux actuels du genre. D'ailleurs, le film ne sera jamais meilleur que lorsqu'il utilisera tous les éléments de son cadre dans une optique de suggestion, avec ces petits moments de tension très réussis avant l'apparition des fantômes.
A contrario, lorsque Nicolas Pesce se veut plus démonstratif à l'écran, le film sombre complètement.
On ne parle pas ici des quelques séquences sanglantes ou des plans sur des cadavres en décomposition, "The Grudge" affiche un (relatif) jusqu'au-boutisme dans la représentation de sa violence et cela fait plutôt plaisir à voir (et ce jusque dans l'épilogue).
Le coeur du problème réside surtout chez les spectres en eux-mêmes. En perdant leurs spécificités physiques qui faisaient leur charme dans les anciens opus, ils sont ici occidentalisés et deviennent par conséquent extrêmement banals. Hormis la présence surabondante d'eau croupie et de baignoires, les modalités de la malédiction "grudgienne" à base de meurtres familiaux n'ont jamais été d'une grande originalité mais, si, en plus, leurs fantômes n'ont plus aucune caractéristique pour en symboliser la portée, ça ne peut hélas déboucher que sur des apparitions très lambdas. D'autant plus qu'à l'exception de quelques jumpscares efficaces, Nicolas Pesce se montre bien moins doué afin de nous surprendre avec leurs manifestations beaucoup trop nombreuses, répétitives et sans grande imagination pour la plupart.
C'est d'ailleurs un peu le même souci en ce qui concerne l'intrigue. La progression de l'enquête par ses allers-retours chronologiques nous exposant le destin de chaque habitant de la maison prend beaucoup trop de temps et se limite finalement à enchaîner les exécutions (amusantes pour certaines) sans laisser vraiment le temps de nous passionner ou de creuser les enjeux de la trame principale dont découlera un final plutôt terne...
Avouons néanmoins que l'on aura été un poil surpris par certaines qualités de ce "The Grudge" version 2020 tant on redoutait une catastrophe de bien plus grande ampleur. Le film n'est pas bon pour autant et ne remettra sûrement pas cette franchise ou les adaptations de J-Horror sous le feu des projecteurs mais tout de même... les ambitions qui l'animaient étaient loin d'être inintéressantes.