Il y a dans The Guest la même approche brouillonne mais viscérale qui habitait le précédent film d'Adam Wingard, You're Next. On quitte néanmoins le Slasher/Home Invasion/Survival pour déguster un autre mélange de genres qui réunit drame, action et psycho killer. Sur le papier ça sonne étrange mais rassurez-vous, sur pellicule ça l'est tout autant. Non pas que le film soit particulièrement complexe ou compliqué à comprendre, mais il s'amuse avec les ruptures de rythme et de genre pour nous raconter l'histoire de cette famille ordinaire, les Peterson, qui accueille en son sein un inconnu, qui se dit camarade d'armée du fils aîné décédé au front. Une femme esseulée dit au revoir à ses enfants et à son mari avant de se morfondre dans son canapé en regardant l'autel à la mémoire de son fils mort. La caméra pivote pour faire apparaître David, le frère d'arme venu honorer son serment. En une poignée de plans et autant de secondes Wingard plante son film, ses personnages et légitime le postulat de base qui va sous-tendre le reste du métrage.
Beau comme un dieu grec qui sort torse nu d'une salle de bain embuée jusqu'au plafond, poli, compatissant, charismatique... David est sans doute trop parfait pour que ça soit complètement naturel et, effectivement, il a un côté flippant quand son regard se perd fixement dans le vide. La famille Peterson, brave mais paumée, adopte vite le charmant David comme pansement sur la blessure commune. S'installe alors un lien épanouissant pour les Peterson, qui semblent tous sortir la tête de l'eau petit à petit, mais beaucoup plus douloureux pour leur entourage, victime des méthodes un peu... rustre de David pour résoudre les problèmes. Une relation qui glisse de plus en plus vers le malaise jusqu'à un noeud dont la résolution ne peut être que furieuse. The Guest c'est un glissement inexorable, une escalade brutale d'un personnage central complètement déconnecté de son humanité.
La structure du film pourra paraître bancale, et elle l'est vraisemblablement, et certains éléments sont superflus (finalement, à quoi sert l'ébauche d'explication sur David ?) mais le traitement fait que l'édifice tient debout. Un traitement qui va jusqu'au bout de l'idée, qui nous épargne la vision du brave noyau familial qui reste fort dans la tempête et qui assume son côté déviant et série B. The Guest convoque aussi bien William Friedkin (on pense notamment à Bug et Killer Joe), Brian DePalma (Carrie, Body Double et Furie répondent à l'appel) qu'Hotline Miami, ce jeu vidéo où vous massacrez des gens de manière compulsive en ayant l'impression d'être sous acide. On y retrouve la même utilisation d'une bande son hardcore-rétro-eighties (la comparaison va même jusqu'à la réutilisation d'un titre de Perturbator issu de la Bande original d'Hotline Miami) et d'une esthétique qui fait la part belle aux couleurs criardes lorsque la folie prend le pas sur tout le reste. La frénésie galopante est d'autant plus percutante que la mise en scène arrive à la resituer sans tomber dans le piège de l'hystérie illisible.
Certains trouveront qu'il est dommage de transformer la promesse d'un drame psychologique en film de genre, mais ça serait regarder le film à l'envers (un procédé sans aucun doute voulu et assumé par le réalisateur) puisque le propos est clairement (dès les premiers plans d'ailleurs) de prendre le temps de développer des personnages et une situation d'un film de genre. On n'est pas encore au niveau de maîtrise d'un John Carpenter (convoqué aussi dans les clins d'oeil) de la grande époque mais il y a définitivement quelque chose dans le cinéma que développe Adam Wingard qui renvoie à la lucidité et la viscéralité d'une certaine époque. The Guest c'est un film bizarre, azimuté, tout sauf carré mais c'est surtout un film qui dégage une énergie irrésistible et sincère qui donne vraiment envie de l'aimer.