Pour être tout à fait honnête, lorsque j'ai appris qu'un remake de l'excellent thriller de Gustav Möller allait sortir, je comptais l'éviter. Il semblait inutile.
Il est aussi inutile de relancer le débat des remakes US des films non-anglophones. Ce film existe, je ne l'aurais jamais regardé sans la présence de Jake Gyllenhaal, mais je l'ai vu.
La critique qui suit va être full spoilers. Donc si vous n'avez pas vu l'original ou que vous souhaitez voir ce remake, partez.
Si vous êtes toujours là, je vous préviens, je suis chafouin.
Très chafouin.
C'est bon ? Allez, go.
Pendant 1h15, on va faire notre possible pour ne pas trop râler de l'américanisation de ce huis-clos grâce au talent de Jake Gyllenhaal. En effet, il donne absolument tout, et il parvient à tenir le film sur ses épaules et à faire oublier ses nombreux défauts. Si l'original brillait par sa sobriété, aussi bien dans la mise en scène que dans l'interprétation, ici, c'est tout le contraire : gros sabots dans la mise en scène, musique dramatique et tire-larmes beaucoup trop présente, et un Jake Gyllenhaal (certes excellent) qui comme à son habitude décide de la jouer comme un homme dérangé. On est bien loin de la sobriété de l'original.
Mais pendant cette heure et quart, l'américanisation de Den Skyldige n'est que dans la forme. Alors on lui pardonne bien. Le cinéma US et le cinéma danois sont différents, il était impossible d'imaginer un remake aussi froid que l'original.
Le souci est que le film ne dure pas seulement 1h15. Il dure 1h20. Et lors de ces 5 minutes, l'américanisation arrive au scénario. Et Nic Pizzolato décide de modifier et de complètement contredire le film original.
Pour ceux qui ne se souviennent pas de la fin du film original, le policier Asger Holm arrive à sauver la vie de la mère, Iben, en lui avouant qu'il a lui aussi tué quelqu'un, et que c'est la raison pour laquelle il sera en procès le lendemain. La police arrive et empêche Iben de se suicider, tandis qu'Holm décide de quitter son poste.
Ici, les gros sabots de Pizzolato décident que ces aveux froids ne sont pas suffisants. Il faut que Joe, le perso de Gyllenhaal, se purge, soit lavé de ses pêchés, et qu'on les lui pardonne. Il répète à de nombreuses reprises que si Emily (la mère 'Iben' de ce remake) se suicide, il aura aussi sa mort sur sa conscience, et qu'il ne peut pas vivre avec ça. Et, lorsque Joe apprend qu'il a réussi à la sauver, que la police l'a empêchée de sauter, sa supérieure arrive pour lui dire que grâce à son zèle - qui l'a pourtant conduit à tuer un gamin 8 mois auparavant, rappelons-le - le bébé a survécu à des coups de couteau dans le ventre survenus a minima 1h avant que celui-ci n'arrive à l'hôpital (mdr).
Joe est absous et il est même pardonné par cette même supérieure : "les gens brisés sauvent des gens brisés". Le zèle qui t'a conduit à tuer un gamin 8 mois auparavant et qui auraient pu conduire à un suicide ce soir - Emily n'est sur le pont que parce qu'il a essayé de résoudre une enquête depuis un poste de téléphone - ont sauvé un bébé et une vie. On est bien loin de l'absence de morale de l'original.
Mais, comme si ce n'était pas suffisant, sa culpabilité qui l'a littéralement rongé pendant 1h15 (Joe est dans cette version anxieux et en proie à des crises d'angoisse), il faut qu'il s'en purge : il vomit du sang dans les toilettes. Il se nettoie de son meurtre. Et ce, juste avant de demander à son partenaire d'arrêter de mentir pour lui. Joe finit par avouer son crime à la presse et au tribunal, et il plaide coupable. Joe a sa rédemption, et le remake Netflix a sa happy end puritaine.
S'il est évidemment compliqué de sortir un film sur un flic américain tueur qui s'en sort (peut-être ? La fin de l'original était ouverte) dans le contexte actuel, je pense, personnellement, que ce n'était pas le job du cinéma de servir de catharsis pour apaiser les tensions entre la population et la police aux US en leur montrant que tous les flics ne sont pas mauvais, et que parfois, certains avouent leurs crimes.
Ces 5 minutes résument ainsi à elles seules tout ce qui peut assez souvent aller mal dans le cinéma US. Je me souviens que les mêmes reproches étaient faits à The Departed, jugé trop catholique par certains. Ici, nous faisons face à un véritable cas d'école de tout ce qu'il ne faut pas faire dans un remake.
Rendu plus divertissant tout le long, sortant beaucoup trop souvent du huis-clos (le film commence et finit dans des WC, et Joe imagine deux fois ce qui se passe à l'autre bout de la ligne parce que visiblement, on ne peut pas l'imaginer seul, il faut qu'on nous le montre), ce remake dénué de toute subtilité quelle qu'elle soit finit de nous achever dans ses 5 dernières minutes nauséabondes et franchement mal venues dans le contexte actuel. Pas bravo Pizzolato et Netflix. Pas bravo du tout.