Un magma de plans somptueux et hypnotique, tourbillon de saillies, d'angles et de formes géométriques dans lequel se perd notre regard de spectateur impuissant : les 30 premières minutes de The Hart of London sont absolument fascinantes et réinventent à elles seules la notion de surimpression cinématographique, cumulant d'innombrables images d'une ville foisonnante, insituable et filmée principalement dans les gammes grises. Sorte de stroboscope modéré, triturant le rythme effréné de ce London canadien cette première partie bouleverse complètement notre condition de cinéphile : expérimental, le film de Jack Chambers altère notre champ de vision jusqu'à se rendre parfois difficilement regardable, mais aussi souvent stimulant sur le plan plastique. Il s'agit d'un véritable travail d'artiste, composé dans la maestria d'un montage colossal évoquant les premiers films surréalistes de Bunuel ou encore le cinéma de Dziga Vertov. La surface brouillonne de cette première partie, accentuée par les sons saturés d'une avalanche de neige ou du mouvement tumultueux de la mer couve en réalité une somme d'efforts tout à fait prodigieux, tant et si bien qu'elle n'ennuie jamais malgré sa sécheresse...
La seconde partie, un brin plus paresseuse mais quelquefois sublime, laisse la couleur s'installer peu à peu, estompant la grisaille des images urbaines pour laisser place à des visions particulièrement choquantes, visiblement tournée dans l'esprit de Stan Brakhage : Window Water Baby Moving est directement convoqué dans notre imaginaire, puisque l'un des moments de ce deuxième acte nous montre un accouchement présenté sans fioritures ; The Act of seeing with one's own Eyes ( la demi-heure d'images d'autopsie filmée par Brakhage ) vient également à l'esprit à la vue d'une brebis agonisant sur un autel... Chambers semble ici vouloir montrer l'irregardable, au son d'une eau coulante au diapason des jets de sang. Mémorable.
Les dernières minutes nous présentent une séquence familiale de sortie au zoo, probablement réalisé dans un format Super 8, dans cet esprit du moins... The Hart of London constitue une véritable proposition de cinéma, radicale et fascinante, nous invitant moins à comprendre qu'à ressentir. Un petit bijou du cinéma canadien à voir absolument !