Le Nebraska, plus d'un siècle avant que Springsteen n'immortalise dans l'un de ses meilleurs albums les tourments de ses habitants, c'était déjà pas de la tarte : plat, vide, froid - glacial même. Très, très photogénique... sublime au cinéma quand le directeur de la photo n'est pas un manche, comme dans "The Homesman". On a tendance à y devenir fou, ou bien, alternative assez acceptable, à se suicider, et c'est bien compréhensible. Devant ce nouveau film, magnifique et passé injustement inaperçu, du talentueux Tommy Lee Jones, le spectateur est bien content de ne pas y vivre, au Nebraska, histoire de ne pas être tenté de massacrer ses propres enfants ou de se passer soi-même, littéralement, la corde au cou (scènes infiniment brutales, incroyablement bien filmées avec une concision et une sécheresse exemplaires...).
Quand on s'embarque dans "The Homesman" sans en savoir grand-chose, on imagine que, comme dans "Trois enterrements", Tommy Lee va "utiliser la splendeur des paysages comme cadre sublimé à une tragédie intemporelle" (phrase toute faite illustrant notre peu d'attentes vis à vis d'un genre trop souvent mort et ressuscité pour ressembler à autre chose qu'un marcheur de "Walking Dead"...). Sauf que pas du tout. Ce à quoi nous avons droit ici, c'est plus qu'un nouvel anti-western où tout le monde est affreux, sale et méchant (et bête, aussi). C'est un portrait vidé de tout affect d'une Amérique sans coeur et sans âme - pardon, d'une humanité sans coeur et sans âme - qui n'a jamais eu l'ombre d'une chance. Se ruer vers l'Ouest était une très mauvaise idée puisque, hormis soi-même sans les oripeaux de la civilisation, il n'y aurait rien à voir, rien à trouver sauf quelques sauvages créativement bariolés et mangeurs de viande de cheval. Revenir vers l'Est pour y retrouver les arbres et un semblant de havre contre l'abîme de la folie et la torture de la solitude est tout autant un leurre, une impasse : le capitalisme est arrivé et il ne peut être consumé dans les petits incendies que nous sommes capables d'allumer. Notre soudaine richesse de pauvres gens nous est soustraite avant que nous puissions y goûter, et l'épitaphe destinée à notre tombe solitaire disparaît dans l'indifférence sous les eaux d'un fleuve. Ne reste plus qu'à boire, chanter et tirer des coups de feu vers le ciel noir. Et vide.
Oui, "The Homesman" est l'un des films les plus pessimistes, les plus absolument nihilistes même, que l'on ait pu voir depuis longtemps (il suffit de voir la représentation du sexe et du mariage qui y est donnée, ça donne envie..). Néanmoins, en particulier par la grâce d'un changement - très audacieux - de personnage principal en cours de film, et en postulant que oui, la femme est bien l'avenir de l'homme, mais que celui-ci avance à reculons, Tommy Lee Jones confirme ici qu'il est un foutu réalisateur. Et un philosophe - quoi que ce mot ronflant veuille dire - non négligeable.
[Critique écrite en 2018]