2H30 dans la tête d’un psychopathe, Jack, serial killer américain, dans les années 70. Une pure torture pour le spectateur, mais un exercice de style qui fait mouche et qui ne mène pas nécessairement à s’interroger sur la folie humaine et le Mal comme on pourrait le penser, mais plutôt sur le jugement qu’on porte à une œuvre. Car celle-ci a une valeur difficile à estimer, dans la mesure où notre subjectivité nous force à blâmer le sinistre et immoral spectacle qui s’est déroulé sous nos yeux. Von Trier sait d’ailleurs ce qu’on lui reproche à chaque fois, et n’hésite pas à en faire des caisses (montrer un tueur qui tire sur un enfant, et le tout en point de vu subjectif depuis la lunette du tireur ? le sujet est touchy, alors allons-y !). Lars Von Trier dépeint les crimes de son personnage, à la manière d’épisodes, qu’il nomme « incidents », comme si chaque meurtre n’était qu’un léger dérapage… Le problème est que dans ce film, il n’y a tout simplement aucune force « positive », rien ne peut arrêter Jack, et d’ailleurs, le pire est que, aucune tentative n’est faite, rendant le film encore plus absurde et banalisant la violence. L’Amérique devient son terrain de jeu, et lui offre toutes les armes dont il a besoin.
Comme dans la série Hannibal, Jack ne se contente pas de tuer, il fait de l’art. Il est ingénieur, mais se perçoit comme un architecte. Outre ses tentatives de construire sa maison (avec des plans sur le « chantier », hautement symboliques, on se demande d’ailleurs si cette construction n’a pas uniquement lieu dans sa tête), il voit les êtres humains comme une matière comme une autre, et modèle la chair et les corps à sa guise. Comme l’art de Jack qui va à l’encontre de toute morale, l'art de Von Trier fait fi du bien et du mal, ce dernier ne nous demande pas d’apprécier son œuvre, mais d’en reconnaître la qualité artistique, qui pour lui va de soi. Pour cela, il fait appel à des arguments d’autorité, des références, nombreuses, qui ponctuent sans cesse le film, ce qu’on pourrait qualifier de fourre-tout philosophique et littéraire, tout y passe, de manière plus ou moins explicite, Goethe, Platon, Blake, Dante, et bien sûr… la référence la plus évidente : Freud et le Moi, qui ici « n'est pas maître dans sa propre maison », quand bien même Jack, qui s’est auto pourvu d’un pouvoir démiurgique que rien ne semble arrêter, si ce n’est son hubris et sa propre folie qui le conduiront à sa perte, pense qu’il maîtrise tout. Dans son inconscient, il mène une conversation sans début ni fin avec Verge, qui ne tient pas son nom d’un prépuce mais plutôt de l’anglais « verge » qui désigne le « bord », le point de bascule, et c’est bien cet être « imaginaire » qui va faire basculer Jack… Mais je n’en dis pas plus.

Ce film est un brouhaha incessant, une vraie épreuve pour le spectateur, qui voit le narcissisme de Jack se confondre avec celui de Von Trier, et se retrouve pris au piège. On aimerait juste mettre fin à cette discussion philosophique qui part dans tous les sens, et gueuler comme le ferait Finkielkraut « mais taisez-vous ! ».
Il aurait finalement fallu que Jack tue Lars Von Trier, comme la créature se retournerait contre son créateur, à moins que ce ne soit qu’une seule et même personne (dans The House That Jack Built, des extraits des précédents films de Von trier apparaissent, tels que Nymphomaniac et Melancholia), et que Lars finisse par s’égarer tout seul…

leaakier
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le 26 sept. 2018

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