Le thème de la chasse à l’homme a souvent inspiré les scénaristes, et ce dès les années 30 avec les fameuses Chasses du comte Zaroff. A chaque fois, il est question de riches désœuvrés qui trouvent dans la tuerie le seul hobby capable de leur procurer un frisson. La victime, pauvre innocente, se retrouve donc traquée, jusqu’à donner au public la satisfaction attendue en mettant à bas cet obsène système. Van Damme lui-même s’y essayé lors de l’arrivée de John Woo aux USA aux débuts des années 90, dans le très oubliable Chasse à l’homme. Plus récemment, la portée satirique sur les ravages du capitalisme a fait une incursion du côté du cinéma brésilien, avec Bacurau, qui reprend sur bien des points les thématiques de The Hunt : un groupe de milliardaires tuent pour le sport de pauvres gens jusqu’à la bascule révolutionnaire et revancharde.
Le ton diffère néanmoins très nettement : ici, le festival gore et d’humour noir avertit d’emblée d’une dimension méchamment satirique, dans la mesure où il est impossible d’éprouver la moindre empathie pour les victimes. Le divertissement semble être directement lié à la variété des mises à mort – et rien ne nous sera épargné, dans un ballet à la Tex Avery bouchère, de l’éviscération à la grenade, en passant par les pieux, les flèches, les mines et une batterie d’armes à feux à faire frémir la NRA. Si le premier quart d’heure ne convainc guère, les développements de la traques offrent leur premières surprises : dans un décor à l’échelle, tout semble mis en scène. Les poursuivis doivent donc constamment composer avec des interlocuteurs qui peuvent potentiellement être leurs bourreaux déguisés, et la paranoïa gagne le spectateur dans un jeu constant entre « réalité » et supercherie.
La bêtise des victimes aura un temps attiré l’attention (avec, notamment, un joli travail sur les différents accents), mais c’est le portrait des tueurs qui fait clairement basculer le récit. Ecrit par Damon Lindelof (Lost, The Leftovers, la série Watchmen), ce petit survival prend soudain une tournure bien plus politico satirique. On comprend ainsi que les milliardaires se paient un autre luxe, celui d’une bien-pensance à l’épreuve de tout scrupule, ayant choisi leur victimes par rapport aux standards du politiquement incorrect : climato-sceptiques, racistes, misogynes, rednecks, dans un très acide renversement où les démocrates instaureraient une sorte d’épuration idéologique face aux bouseux électeurs de Trump, et se retrouveraient eux-mêmes sans cesse sous la pression d’une perfection devenue ridicule, ne pouvant appeler le noir par sa couleur, porter un kimono ou dire « guys » à un groupe mixte.
Le twist réservé au thème du conspirationnisme, et qu’il faut soigneusement éviter de révéler, achève la démonstration par l’absurde de la prééminence des fake news et de la manière dont cette fictionnalisation éperdue de la réalité finit par avoir un réel et toxique impact sur elle.
Si le récit n’oblitère pas pour autant les convenances du genre (à savoir, la distinction d’une proie qui va résister et renverser la tendance), le traitement là aussi très parodique octroie une valeur ajoutée : sorte de Lara Croft scandinave, Betty Gilpin excelle dans son impassibilité qu’on prend longtemps pour la bêtise congénitale, avant de révéler des talents de guerrière tout aussi improbables, et au service de chorégraphiques digne d’un John Wick au féminin, pour un duel très tarantinien période Kill Bill.
Massacre généralisé, donc : si les corps prennent cher, c’est surtout sur le domaine des idées que le film fait le plus de ravages illustrant dans un rire cruel les ressorts d’un système malade où les classes sociales sont définitivement incapables de cohabiter, et de communiquer.