On le sait, le monde entier - avant même la crise du coronavirus - sombre. Dans la haine des classes, dans le populisme. Dans la violence. Et, toujours en avance sur le reste de la planète, avec l'arrivée de Trump qui anticipait les élections de Boris Johnson et Jair Bolsonaro, entre autres, les USA s'étaient déjà enfoncés dans une opposition de plus en plus extrême entre les "riches et cultivés" privilégiés des grandes métropoles côtières, et la soi-disant "Amérique profonde" adepte des armes, anti-féministe et anti-avortement, et bien sûr sourde à tout message "écologique"... Le tout exacerbé par l'hystérie permanente des réseaux sociaux, conduisant tout droit à ce qui pourrait très bien être une nouvelle "Civil War" américaine.
"The Hunt", la parabole jouissive de Craig Zobel dont pas mal de gens parlent en ce moment, plus qu'une nouvelle actualisation du grand classique qu'est "les Chasses du Compte Zaroff", est une (légère) anticipation d'un "passage à l'acte", basé sur l'exacerbation de cette haine de plus en plus ouverte. Et en tant que tel, une très belle surprise, pourvu que l'on soit prêts à en rire un tant soi peu : car la violence, parfois radicale, du film, est vite dépassée par la justesse de la satire. Et par le fait que le scénario, beaucoup plus malin que l'on pouvait s'y attendre, fait des "monstres" de l'histoire ceux des personnages dont nous nous sentons, nous Européens, les plus proches "intellectuellement"... Sans même mentionner la tentation "complotiste", qui explose littéralement en ce moment-même, et qui en prend joliment pour son grade dans la dernière partie du film... ni même que nous devrions tous nous sentir un peu honteux en repensant aux "posts" que nous avons un jour relayés, sous le coup d'une indignation trop facile, et sans trop y penser !
Bon, "The Hunt" n'est pas un chef d'oeuvre, et il perd un peu de crédibilité avec son interminable et inutile scène de baston entre l'héroïne (Betty Gilpin, stupéfiante, la GRANDE révélation du film - la scène du "Lièvre et la Tortue" est réellement le sommet du film !) et une Hilary Swank à la présence un peu trop sacralisée. Il reste toutefois un film parfaitement recommandable en ces temps de pénurie cinéphilique : avec le non moins remarquable "Plateforme", il constitue une preuve de plus que la série B peut être le refuge des réflexions les plus judicieuses sur l'état de notre société.
[Critique écrite en 2020]