Ce matin, un chassé a tué un chasseur...

The Hunt est enfin sorti sur les écrans ce 22 juin 2020 ! Magnifique satire divertissante, voire parfois hilarante et intentionnellement brutale, le film surfe intelligemment et de façon non manichéenne sur de multiples travers de la société américaine mais qui, sans trop chercher bien loin, s’élargissent et viennent nous rejoindre là où nous sommes.


Produit par Blumhouse, véritable « machine à tuer » pour les thrillers et autres films à tendances horrifiques, The Hunt aurait dû sortir aux États-Unis en septembre 2019 jusqu’à ce qu’Universal, distributeur du film, décide d’en repousser la sortie en salle au 13 mars 2020 pour des raisons politiques liées à plusieurs tueries de masse. Et boum… la crise sanitaire est arrivée ! Heureux français que nous sommes, le jour de sortie est arrivé, ce qui n’est pas les cas pour les américains qui devront se contenter tristement de la version VoD.


Votre première réaction à la lecture du synopsis sera sans doute la même que la mienne… on l’a déjà vu cent fois. Mais que nenni ! La nouvelle création de Craig Zobel (Westworld, American Gods, The Leftlovers…) sur un scénario de Damon Lindelof et Nick Cuse (Lost, Watchmen, The Leftlovers…) prend pour modèle (ouvertement car même évoqué dans les dialogues) La Ferme des animaux de George Orwell (1945) puis se construit sur les bases du classique de 1932 Les Chasses du comte Zaroff, lui-même adapté de la nouvelle de Richard Connell (de 1924) et qui a déjà eu d’innombrables adaptations cinématographiques. Mais, celui-là s’adapte à notre époque, avec tous les révélateurs du moment, tels qu’Internet et ses bulles de filtre, le conspirationnisme, les micros-forums, les faux équilibres médiatiques et tutti quanti tout en distillant par-ci par-là un zeste de migrants, des questions de genre et d’homophobie et quelques autres bons clichés savoureux. Et tout cela sous le couvert d’une satire terriblement noire où tout s’inverse et vous fait perdre vos repères habituels. La stupidité, dans ses différentes nuances et manifestations, est omniprésente, l’hypocrisie rivalisant avec l’ignorance délibérée et volontaire.


Car il faut préciser ici que le synopsis de l’intrigue que vous venez de lire ne fait qu’effleurer la réalité de The Hunt, et qu’il est bien plus intelligent que le concept ne le laisse imaginer. En réalité, l’histoire vise à combler le fossé qui sépare la société américaine et à montrer à quel point tout cela est futile lorsque les deux parties sont tout aussi horribles l’une que l’autre. D’un côté donc, nous avons un groupe de nationalistes blancs, addictes aux armes à feu et biberonnés à la chaîne Fox News et de l’autre, des libéraux milliardaires qui échangent des tweets avec Ava DuVernay, qui se demandent s’il est problématique ou non d’avoir un individu noir sur leur liste de victimes et qui, globalement, répondent à tous les stéréotypes d’une élite libérale que stigmatise l’autre groupe. Mais le souci, c’est qu’ici les rôles sont inversés et ceux que l’on attend d’un côté de la barrière sont précisément de l’autre…


Ce qui ressort alors, c’est qu’il n’y a sans doute ici ni bonne, ni mauvaise personne, ni même de propos moralisateur à tenir. On est bien au-delà ! The Hunt peut être vu alors comme une expression de rage contre l’ignorance profondément ancrée qui alimente le sectarisme. Et, rien de mieux que la politique américaine pour s’amuser avec tout ça. Un fonctionnement marqué par ces deux camps qui s’opposent et conduisent si souvent à deux positions extrêmes, où finalement chaque partie souhaite en fin de compte que l’autre existe et devienne symbiotique. L’une n’existe pas sans l’autre… Les auteurs s’en prennent à tous ceux qui adhèrent aveuglément à une idéologie qui vilipende l’autre. Et les détails sont souvent très drôles, de la grammaire pédante au jugement impulsif. Le point central est que personne ne se préoccupe de la vérité ; nous voulons tous que les autres confirment ce que nous croyons. Il s’agit alors de savoir comment nous inventons des mensonges pour transformer les autres en ennemis. Et, sur ce point, cela fait de The Hunt étonnamment l’un des films les plus importants de l’année.


Sans vouloir divulgâcher davantage, la mise en scène et le scénario sont des ping-pong constants entre comédie déjantée et violence extrême, à la façon d’un Paul Verhoeven de la fin des années 80 et des années 90. Enfin, quelques mots sur la délicieuse Crystal, qui s’avère être la plus brillante des stéréotypes. Mais aussi le seul personnage qui ne répond pas aux attentes des autres… et pour cause. Elle ne se soucie pas non plus de la raison pour laquelle elle est chassée, mais seulement du fait de ne pas être abattue. Jouée par Betty Gilpin avec un instinct sûr et une ténacité sans faille, elle est la plus dangereuse des créatures, selon certains, la femme autonome pleinement consciente de ses capacités considérables, qui se fiche totalement de ce que vous pensez.


Écrite avec précision, jouée avec une sincérité sans faille, l’histoire refuse de suivre des formules, subvertit les attentes politiques et cinématographiques au profit d’une argumentation large et subtile, utilisant le langage même des étiquettes et des épithètes contre leurs propriétaires avec une habileté à couper le souffle, et un usage adroit de l’ironie. Si donc les explosions de cervelles, ou un corps qui se coupe en deux auraient tendance à vous révulser, mieux vaut peut-être passer votre chemin et choisir une autre séance, mais sinon, n’hésitez pas !

GadreauJean-Luc
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le 22 juil. 2020

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