Film fleuve testamentaire, film qui boucle la boucle. Beaucoup voit ce film comme la fin de quelque chose, la fin d'une époque, la fin de carrières, la fin d'une collaboration mais surtout pas la fin d'une amitité. Celle qui unie Martin Scorsese et Robert de Niro. The Irishman est tout cela et bien plus encore. D'une générosité folle, il nous embarque dans le quotidien de Frank Sheeran à travers plusieurs tranches de sa vie, présentées dans le désordre mais toujours avec une fluidité de rythme qui démontre la maitrise de Scorsese pour raconter une histoire fragmentée et la sublimer par son style qui n'a rien perdu de sa superbe. Une tension palpable, des émotions resplendissant dans le regard et le silence. Le regard d'une fille sur son père qui attend l'affection qui ne vient pas, le regard de ce père pris de doute et de remords, voilà ce que j'appelle la générosité du cinéma qui ne se mesure pas dans les dialogues et l'action mais bien dans la captation des émotions, du sous-texte, tout en finesse. Et puis de l'action, il y en a, ici et là, froide, implacable, exécutive.
La première partie est lente, les personnes habitués à la folie ou au rythme frénétique d'un Loup de Wall Street ou d'un Les affranchis seront décontenancés. Scorsese pose ces deux premières heures comme l'on poserait un cercueil en terre, il faut creuser. On se remémore alors, un peu de le désordre les points culminants d'une existence puis vient le moment où il faut mettre Le cadavre en terre, l'acte irréparable, le meilleur passage du film où le rythme s'accélère et où les performances d'acteurs culminent. Le duo Pacino et De Niro est alors triomphal, impérial, Joe Pesci ne déméritant absolument pas tout le long du récit mais de manière plus linéaire, sans réelle évolution de son personnage. Un dernier acte clôture cette oeuvre, celle mélancolique de la mise en terre, aucune cérémonie pour ce personnage de gangster trop obnubilé par son ambition et son honneur. Il a tout perdu, passera les dernières années de sa vie, muré dans la solitude, la maladie et le remord. Passant d'une prison à une autre. La musique chère à Scorsese habille très sobrement le métrage. Il y a bien quelques de ci et là quelques thèmes marquants ou tubes des années soixante bien utilisés mais là ou la magie du film s'exprime le mieux est encore une fois dans le silence, pur ou sans musique.
Pour finir, The Irishman est un film de mafieux, pourront se rassurer certains, remplis de d'exécutions sommaires et de règlements de comptes, de magouilles frauduleuses (pléonasme ?) mais c'est aussi une réfléxion lente sur la vie, la vieillesse, la mort, (et du cinéma) le rajeunissement des acteurs n'empêchant pas le malaise de voir un De Niro de 76 ans camper un gaillard de 40 bien qu'utilisant une technologie de pointe. Le cou rentré dans les épaules, les lèvres assêchées, les taches de vieillesse à peine effacéee par le gommage numérique, on sait tous que ce film aurait dû être tourné il y a quinze ans, lorsque Scorsese découvrait le livre de Brandt mais n'est-ce pas ça le cinéma, passer outre tout cela et se laisser porter par le talent d'un réalisateur et de comédiens au sommet de leurs arts, se déclarant respéctivement leur amour et aussi celle qu'ils ont pour un genre, et pour cet art à part ?
En tout cas la messe est dite et Scorsese et toute sa bande d'acteurs sont immortels.