/// JE SPOILE ///
Déjà, je souhaite parler du problème Netflix. Cette plateforme dépense des fortunes pour attirer des réalisateurs renommés et de facto formate le travail des dits-cinéastes pour créer des produits qui ne sont ni vraiment des séries, ni vraiment des films, dont la durée, où l'image, où le fond, parfois les trois, créent non pas une nouvelle voie, mais plutôt une impasse, un entre-deux où je n’ai pas, en temps que spectateur, envie d’aller. Le film est soit beaucoup trop long, comme ici, et sa construction est presque celle d’une mini-série, soit carrément découpé en sketches (le Coen), soit révélant d’une esthétique qui n’est possible qu’en télé (le Scorsese encore, ou le Cuaron par exemple). Bref, Netflix ce n’est pas du cinéma, c’est de la télé qui se veut XXL et qui se dégonfle telle une baudruche dès qu’on se confronte au cœur du sujet, que l’on continuera à nommer « film », faute de mieux. Combien de temps cela va-t-il durer ? Sans doute pas trop, car la bulle Netflix va finir par exploser, surtout quand on connait leurs énormes difficultés financières, ce hold-up va avoir une fin. Mais le mal est fait, c’est insidieux, et cette façon de faire commence déjà à infiltrer le cinéma de salles. Quoiqu’on pense par exemple, du dernier film de Zahler, Trainé sur le Bitume, il faut bien reconnaitre qu’il est construit, pensé, fabriqué à la manière d’un film Netflix et pas seulement à cause de sa durée démesurée.
Autre souci généré par Netflix, on s’en rend particulièrement compte devant le Scorsese, c’est l’absence de producteur, mot à entendre au sens de « directeur artistique ». Du coup, l’auteur fait ce qu’il veut. Si c’est triste qu’il ne puisse plus monter un film de cette envergure au cinéma (est-ce vraiment le cas d’ailleurs ?) c’est tout aussi regrettable de le laisser foncer ainsi, surtout lorsque c’est pour foncer dans un mur, sans l’accompagner dans son processus créatif.
Il y a tellement de soucis dans The Irishman que je ne sais plus de quel côté le prendre. Il y a déjà on vient d’en parler son extrême longueur, ce fait de ne pas choisir, de ne pas monter, de tout garder, car de toute façon ce sera vu comme une série, donc pourquoi trier ? Ce n’est pas le plus gros problème du film mais c’en est un, le cinéma c’est aussi l’art de la coupe.
Alors on garde tout, mais ce n’est pas pour cela que c’est plus intéressant bien au contraire. Le personnage joué par De Niro (on y reviendra) se contente les ¾ du temps de subir l’action, de l’accompagner dans le meilleur des cas et bien souvent de la constater. Il ne serait pas là, ce serait pareil. Jusqu’au coup de tonnerre qui arrive au bout de 3 heures, ce moment où il tue Jimmy Hoffa alias Al Pacino, projetant son personnage au-devant de la scène puisqu’il devient enfin « acteur », même si cet acte est exécuté sous les ordres de Joe Pesci. Bref.
Puisque nous parlons des acteurs, c’est le moment d’aborder un problèmé vraiment épineux. Ils sont tous retouchés numériquement pour paraitre jeunes, c’est même pire pour De Niro à qui on rajoute en plus des faux yeux bleus et une peau de rouquin pour faire irlandais, et tout ceci est absolument affreux et il est surtout impossible d’y croire deux secondes. C’est simple, c’est comme si on était devant le Tintin de Spielberg, sauf qu’il ne s’agit pas ici de « performance capture » mais bien d’acteurs physiquement présents et maquillés numériquement. C’est une horreur visuelle, d’autant que les gars ont l’air jeunes mais ils bougent comme des vieillards, créant un décalage qui devient presque drôle, mais le plus gros souci c’est ce que ça dit de Scorsese. Le cinéaste a tellement peur de mourir, il a tellement la flippe de constater qu’il est vieux et que sa carrière est derrière lui qu’il fait tout pour maquiller ça comme une voiture volée. On peut pourtant faire de très beaux films sur ce sujet, en étant un cinéaste vieillissant, le magnifique La Mule de Clint Eastwood, sorti aussi cette année, en est le plus bel exemple. Mais Scorsese semble nier cela. Du coup, il se dit, tiens, on va faire un film comme dans le temps, je vais prendre mes acteurs, mais comme ils sont devenus vieux je vais les maquiller. Et puis on va les maquiller numériquement comme ça ils pourront faire encore plus jeunes. Et pour quel résultat ? Un film que Scorsese a déjà fait plusieurs fois et qui a donné au moins deux chefs-d’œuvre absolus, les indépassables Affranchis et Casino. On repart sur la même trame, la même construction, mais en étirant au max (merci Netflix !), on remet les mêmes gars dedans et on fait comme s’ils étaient jeunes. Malheureusement, personne n’est dupe. C’est un film de trop, le film d’un vieillard qui refuse de se voir vieux et à qui on n’ose pas dire non de peur de le contrarier. Alors cette vieillesse qui est le sujet du film pourrait être émouvante comme je l’ai lu. Mais précisément ici ça ne marche pas parce que Scorsese n’accepte pas cette vieillesse. Il l’accepte à la fin, et ce sont les passages les plus réussis du film, ce plan final avec cette porte que De Niro demande de laisser à peine entrouverte, comme si on ne le retirait pas encore complètement du monde, mais que c’est pour bientôt, tout cela est assez touchant, mais cela arrive si tard que ça n’a pas la puissance émotionnelle désirée. Car, c’est bien ici ce qu’il y a de plus triste, c’est que Scorsese se soit donné tant de mal pour un résultat si pauvre en émotion. Car oui il y a du travail, de la reconstitution, une implication sans doute énorme de sa part, je pense que jamais plus il ne s’impliquera autant dans un film, tout ça se voit tout de même sur l’écran, et ça fait de la peine de constater, qu’à cause de tous les problèmes que je viens de tenter d’évoquer ici, que rien de tout ceci n’est transformé à l’écran.