Martin Scorsese, 77 ans, l'un des cinéastes les plus importants et influents du nouvel Hollywood, qui aurait cru qu'un jour, cet homme, ce cinéphile, ce génie de la mise en scène, sortirait un film sur une plateforme de streaming ?
C'était sans compter sur les faibles producteurs, financiers ou distributeurs, j'en sais rien... qui n'ont pas voulu lâcher le gros chèque pour que papy fasse son film de mafieux.
Je sais bien que Netflix n'est pas dans le cœur de tous mais pour le coup, merci à eux.
The Paint Houses of Frank guilt
Après le carton jouissif et fougueux que fut Le Loup de Wall Street en 2013, le père Scorsese a décidé en 2017 de marcher dans les pas d'un de ses maîtres, Kurosawa, avec un Silence épuré, humain et personnel.
C'est en 2019, fin 2019, après une quarantaine d'années passées, qu'il revient véritablement au film de mafieux, à sa genèse, ce qui a marqué son cinéma. La trilogie de la mafia est enfin close, après Goodfellas et Casino, The Irishman vient clôturer un pan de l'histoire cinématographique, et ce de la plus belle des manières.
Parler de Silence est essentiel pour parler de The Irishman, malgré l'aspect éloigné de l'univers traité et du casting qui va au delà de simples noms au générique, Scorsese devient sage, d'une manière terriblement réfléchie, omettant la coke et la castagne virulente au profit de la famille et de l'amitié. La mélancolie est au sommet dans ce dernier plan tristement magnifique.
La paix n'existe pas chez Scorsese, la tranquillité n'est pas de son monde, le questionnement, les trêves, la foi, la famille, oui, le repos, jamais.
Ce dernier bijou pourrait facilement terminer une filmographie prestigieuse, bien qu'il n'en sera rien. Du haut de ses 3h30, la plus longue durée pour un film du monsieur, The Irishman évoque bien des sentiments, entre la nostalgie de l'esthétique d'une époque, le respect, la bonne bouffe, le travail et j'en passe, le tout accolé à l'aspect sombre d'une telle vie, les tueries, les trahisons, la magouille etc...
Ici il n'est même plus question de tuer violemment au stylo ou à la batte, ce volet mature n'impose de la violence que quand c'est nécessaire, très épuré à ce niveau, très humain. Plus question de caïd qui savent tout gérer, enfin plus ou moins, ici le personnage principal c'est un homme qui choisi sa vie car il n'a aucune autre ambition, Frank "the irishman" Sheeran est un homme qui n'a plus eu le choix à partir du moment où il a serré la main du mauvais gars, loin d'être un ange lui même, c'est certainement un des personnages les plus complexes et émouvants du cinéma de Scorsese. Celui d'un homme qui avance, coûte que coûte, jusqu'au bout, par respect, amitié, peur.
The Irishman est une fresque douce, plaisante, drôle même parfois, humaine, crue, comme une valse durant laquelle on se marcherait sur les pieds mais qu'il faudrait tout de même continuer.
Gangs of Old Work
Un film de Martin Scorsese c'est bien évidemment toujours une attente, mais là, l'attente fût dédoublée voire triplée voire autant que tu veux, c'était un véritable rendez-vous.
Robert De Niro, le fils spirituel de Martin, faisant son grand retour après un long chemin sur lequel Leonardo DiCaprio a magnifiquement empiété. Dixième collaboration avec le père, la dernière remontant à 2015 grâce au court métrage The Audition.
Harvey Keitel signant sa sixième collaboration avec Martin, acteur fétiche au début de la carrière de ce dernier, il n'avait pas remit les pieds sur un plateau Scorsesien depuis La Dernière Tentation du Christ en 1988.
Joe Pesci, forcé de quitter sa retraite pour une quatrième fois briller devant l'objectif du Martin. Étrange sensation, comme s'il n'avait jamais quitté les plateaux, et pourtant... Très heureux de le revoir en forme, si juste, si tendre et dur à la fois, son dernier plan est un au-revoir au cinéma magistral.
Ne comptons même pas les collaborations De Niro / Keitel ou De Niro / Pesci qui sont elles aussi nombreuses.
Dans tout ça, tout ce retour aux sources, castinguement parlant, il y a tout de même du nouveau venu, l'excellent Bobby Cannavale qui n'avait jusqu'à présent côtoyé Martin qu'en tant que producteur via les séries Boardwalk Empire et Vinyl dans lesquelles il était fabuleux.
L'acteur et humoriste Ray Romano trouve également une place de choix pour la première fois devant la caméra de Martin, passé lui aussi par la série Vinyl.
Jesse Plemons, se créant une belle carrière depuis une dizaine d'années maintenant, y est un second rôle plus qu'appréciable.
Domenick Lombardozzi, qu'on imagine facilement ami avec Bob, Anna Paquin et d'autres sont tous impeccables.
Mention spéciale à un acteur fascinant et blindé de talent, Stephen Graham, déjà présent dans Gangs of New York et Boardwalk Empire, il est ici délicieux, notamment dans les scènes partagées avec... merde, euh... oh comment il s'appelle le petit là ? Le teigneux ! Celui qui a passé un après midi de chien durant un dimanche d'insomnia... Pas très connu mais prometteur, allala, ça me revient pa... Ah si ! Al ! Al... et merde !
Troisième film partagé avec le De Niro, quatre si on compte Le Parrain, 2e partie où ils ne se croisent pas. Puis on peut aisément oublier La Loi et l'ordre... Heat restant le sommet du duo, un rendez-vous gravé. The Irishman signe officiellement, en bonne et due forme, le second rendez-vous, ainsi qu'un autre rendez-vous, peut être encore plus important, celui d'Al Pacino devant la caméra de Martin Scorsese.
Un casting réjouissant au possible, mythique même, le tout regroupé sous la houlette de la technologie du de-aging, coûteux, d'où Netflix...
Un procédé permettant de rajeunir les acteurs, complexe et méthodique dont il est souvent facile de voir les défauts. Ici, bien que le processus ne soit pas à 100% peccable, pour des visages qui ont vécus comme ceux des acteurs présents, c'est un boulot plus que réussi à mon sens. Du moins rien de choquant, peut-être le plan de De Niro en jeune soldat mais c'est du chipotage.
Même niveau démarche, forcément perfectible, mais là encore les acteurs s'en sortent bien. Pour dire, avant de regarder le film j'ai fait une marche de deux heures, ce qui m'arrive peu, j'ai encore du mal à marcher alors qu'on est le lendemain, donc oui les acteurs s'en sortent très bien.
Au delà de ça et du talent du casting, Pacino reste un gueulard et De Niro un grimaçant, ce n'est pas ici que ça change, mais de belles scènes sont partagées, une en particulier est terrible, la dernière qu'ils ont tous les deux, m'enfin, ce n'est qu'un juste retour des choses quand on a vu la fin de Heat.
Un Dernier tango à papys
3h30, 3h30 que j'ai vu passer, sans pour autant m'ennuyer une seule seconde, le temps ne m'a jamais paru long, j'étais captivé et content de vivre ce moment. Cette durée permettant d'ailleurs à Scorsese de laisser le temps à certaines scènes et discutions, j'ai adoré cette prise de temps. Un véritable voyage, déjà bordé de quelques moments cultes, la discussion Tarantinienne dans une voiture autour d'un poisson, ou encore les prises de becs entre Hoffa et Tony Pro, un régal.
La relation de Sheeran avec sa famille et surtout avec son père spirituel, Russell, prend également son temps, jusqu'à la scène d'offrande de la chevalière, très beau moment entre deux personnes, tellement méta, la douceur, l'amitié de De Niro et Pesci est si palpable, c'est beau, tout autant que la confiance de Scorsese en ses amis / acteurs.
Un film à retrouvailles, surfant sur la vague de la vielle époque des Affranchis tout en prenant le contre pied et livrant ainsi une fresque douce sur un monde si violent, un Silence au pays de la mafia comme dirait le collègue Chris Tophe.
La mise en scène en témoigne, longs plans, cadres fixes, calme, loin de la folie du Loup ou de Casino, ici tout est comme au repos, un repos jamais tranquille comme je disais plus haut. Quelques panos au wide angle, travellings à travers des vitres et quelques autres astuces aussi maîtrisées que subtiles se pointent agréablement durant le métrage.
La bande originale est également d'une mélancolie dingue, enivrante.
Ceux qui s'attendaient ou s'attendent à un Scorsese survolté seront déçus, ici tout n'est question que de temps, de vies, d'hommes, rien d'extravagant, qu'une fresque passionnante, réalisée par un maître au sommet et scénarisé par un brillant Steven Zaillian.
The Irishman, l'événement d'une vie de cinéphile est sortie, certainement pas oubliable, certainement réussi, assurément grand, profond et complexe, une odyssée au cœur des hommes.
PS : On pourra dire ce qu'on veut sur la carrière baissante du Pacino et du De Niro, n'empêche que cette année, en plus du Scorsese, l'un était dans le superbe Joker de Todd Phillips et l'autre dans le chef d'oeuvre Once Upon a time... in Hollywood de Quentin Tarantino... J'dis ça...