L'autre film
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On dit souvent de Sergeï Loznitsa qu'il fait un cinéma immersif. Entendez qu'il monte des archives en les rendant plus immersives que d'autres cinéastes avec le même type de matériau. Pour ce faire, une opération en deux temps : couper dans les rushs et remonter tout d'abord, resonoriser ensuite.
Pour le cas du Procès de Kiev, la démarche me semble trahir le film originel. Car les procès soviétiques sont filmés par des cinéastes sortis des écoles de cinéma soviétiques. Cela va de soi, mais ce que rappelle cette formule crue, c'est que ces formations documentaires permettaient que même des actualités soient prises au sérieux, et soient filmées comme des films, en se posant des questions de mise-en-scène, de montage, bref de cinéma. Pourquoi donc les remonter ? Sûrement pour ressortir le film, le faire entrer dans la conjecture actuelle de la guerre en Ukraine, le dépoussiérer, le rendre plus actuel.
Et c'est là que je trouve la démarche de Loznitsa frauduleuse et, vis à vis de l'éthique cinématographique, très douteuse. Car si le remontage des images peut être lu comme une réactualisation, la resonorisation achève le projet en produisant un effacement de l'Histoire. Le dire en ces termes, c'est montrer que Loznitsa sabote lui-même son but — proposer une conjecture dans l'Histoire entre deux Kiev — avec notamment des effets procurés par la bande son. On entend ainsi des bruits de pas rajoutés, des toussements dans la salle, des oiseaux à l'extérieur, etc. Autant d'éléments rajoutés qui gomment les véritables traces sonores de ces procès filmés.
Se cachant derrière un soucis de naturalisme, d'un film qui doit maintenir l'illusion immersive, c'est finalement l'Histoire et la présence humaine qui s'effacent plus qu'elles ne sont décuplées. Etait-ce l'image juste d'un tel procès ? Un remontage qui cherche une forme de systématisme (la voix du juge, le traducteur, l'accusé, la traduction, et ainsi de suite) comme un garant d'une soit-disante neutralité, alors que le produit de Loznitsa n'est autre qu'une fictionalisation. Tromperie quand tu nous tiens. Adjugé coupable.
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Créée
le 20 sept. 2023
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